« Down under »

Et pour clore notre série de récits sur des lieux publics et des rencontres, Annie nous emmène loin, très loin. Bon voyage et bonne lecture ! 

Down under

Avril 2023, quelque part… « down under »*, aux antipodes de la France, en terre australienne. 

C’est l’automne au Queensland et pourtant, il fait 27 degrés tous les jours ! Trois heures déjà que j’arpente la promenade en bord de mer pour faire des photos. Mes followers sur Instagram vont se régaler de ciel bleu ! Il est temps de m’accorder   une pause. Je pousse la porte du  «  Post Office Hotel ». Un lieu iconique, construit au début des années 1900 à l’angle de Bower Parade et de Rainbow Street. A cette époque, l’établissement proposait des chambres aux riches colons de passage. Il était également un relais de poste du Royal Mail. Aujourd’hui, il fait la fierté de Redcliffe avec sa façade historique à balcon. À l’intérieur, un décor vintage chic avec son lot de plantes suspendues. Le sol y est recouvert d’une confortable moquette vert anglais avec un motif de feuilles d’eucalyptus dans un ton légèrement plus clair. Au plafond, les ventilateurs essaient de rafraîchir l’atmosphère. L’espace, immense, est occupé non seulement par un imposant escalier en bois ciré mais aussi par la salle de restaurant avec bar, un billard ainsi qu’une multitude d’écrans géants HD qui diffusent courses de chevaux et matchs de soccer ou de cricket. Sans oublier, un coin dédié aux paris en tous genres.

C’est la fin de journée, le « Happy Hour », le moment où les boissons sont vendues à des prix moins élevés que d’habitude. Une forte odeur de bière flotte dans l’air. Nombreux sont les clients qui se pressent au comptoir pour passer commande. Je m’installe à une grande table et scanne le code QR pour découvrir la carte. J’hésite entre deux plats phares dès la cuisine australienne, une tourte à la viande (meat pie) et une escalope de poulet garnie de jambon et fromage (chicken parmigiana). Finalement, je choisis un poisson très prisé des autochtones pour sa chair onctueuse, le barramundi, et me dirige vers le comptoir pour passer commande. Puis, je retourne m’asseoir en emportant d’une main un petit panneau métallique avec un numéro à poser près de moi pour le service, de l’autre ma « pint » (un demi) de XXXX (prononcez : Four X ou Quatre X), LA bière du Queensland.

Entretemps, six jeunes se sont installés à ma table avec leurs mocktails colorés et agrémentés de rondelles de fruit du dragon ou de pastèque, en équilibre sur le bord du verre, givré au sucre. Ils arborent tous des t-shirts bleus avec inscrit sur la poitrine, en lettres majuscules jaunes : RDSC**. Entre deux selfies et des vidéos pour les réseaux sociaux, ils trinquent joyeusement au permis de conduire de l’un d’entre eux. Cascade de « Cheers, Mate ! ” que l’on peut traduire par “Santé, l’ami !”

A la table voisine, un petit groupe de quadra mène une discussion engagée sur l’actualité devant leur « shooner » (le double d’une pint). Non, ils ne parlent pas du recul de l’âge de la retraite à 67 ans, en juillet prochain, mais du couronnement de Charles, dans quelques jours. Un sujet qui fait débat ! À 18 000 kilomètres de Londres, une part de plus en plus importante de la population trouve complètement absurde que Sa Majesté soit le roi de l’Australie et que le gouverneur général d’Australie ainsi que le Premier ministre doivent lui jurer fidélité et obéissance. Il est temps de sortir du Commonwealth ! Difficile de suivre leurs débats enflammés car la musique des Bee Gees, originaires de Redcliffe, braille dans la salle, alors même que personne ne l’écoute vraiment.

Un couple vient d’entrer. Lui, teint cuivré, chemise aux motifs aborigènes très caractéristiques : des milliers de petits points, le plus souvent de couleur orange, jaune ou marron, soulignent des courbes en forme de boomerang, des cercles concentriques. Elle, cheveux vert pomme, piercings au nombril et aux oreilles, bottes de surfer UGG en peau de mouton. Curieusement, leurs tatouages semblent identiques : serpents, scorpions, chauves-souris sur les bras et fleurs d’hibiscus, de frangipaniers sur les mollets.

Un peu plus loin, une femme, seule, semble perdue dans de sombres pensées. Assise devant un verre de shiraz, je lui trouve une certaine ressemblance avec la femme, peinte par Degas, devant un verre d’absinthe. Même air abattu, regard vague, épaules voûtées. Je revois très précisément le tableau, accroché au musée d’Orsay. D’un seul coup, je repense à la maison, à mes amis, à Paris… Je m’égare…

Un serveur tenant une assiette me tire de ma rêverie … « Twenty-four ! » répète-t-il d’une voix forte, en se faufilant de table en table à la recherche de mon petit panneau numéroté. « Marie, quelle surprise ! Toi, ici ? On se voit demain ? À midi, au Social Café ? » « Oui, bien sûr, Julien ! ». Déjà, il file en cuisine avec un large sourire. Moi, je sens des papillons s’envoler dans mon ventre. Cela fera la troisième fois que nos chemins se croisent : il y a cinq semaines dans l’avion où l’on était assis l’un à côté de l’autre pendant des heures et des heures; hier à la plage de Surfers Paradise et ce soir encore. Non, le hasard n’existe pas ! Je sens qu’une nouvelle vie va commencer… avec Julien !

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 * « Down under » : expression anglaise faisant référence à la situation géographique notamment de l’Australie du fait que ce pays se trouve dans l’hémisphère Sud, « en bas/dessous » de la plupart des autres pays du monde.

** RDSC : Redcliffe Dolphins Soccer Club. Les Dauphins, un nom assez drôle pour le club de foot de Redcliffe !

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