Depuis janvier dernier, trois écrivants d’A Mots croisés, Carmen, Laurent et Annie, suivent, à la Maison de Chateaubriand, Châtenay-Malabry, un cycle d’ateliers mensuels « N’espérez pas vous débarrasser des lettres ! » dont le fil rouge est « la lettre ».
« Mes souliers sont pleins d’eau. » Cette phrase est tirée de la lettre d’un poilu qui tente de décrire à sa femme l’horreur des tranchées. Les lettres écrites pendant des événements historiques sont des témoins importants et servent aux historiens. Dans cet atelier, Carole Prieur, intervenante à la Maison de Chateaubriand, propose de travailler sur un événement traversé et, qui depuis, est devenu historique. Comment en parler, le transmettre par l’écrit ? Travail sur la description détaillée, faire passer une émotion, rejoindre l’universel par l’expérience individuelle…
Nous vous laissons découvrir la lettre poignante, imaginée par Annie. Bonne lecture !
Le jour où ma vie a basculé
Monsieur le Président,
Ma lettre va certainement vous déranger, vous choquer peut-être. Sachez que je n’ai que treize ans et que je ne sais pas écrire comme les grandes personnes. Je me dois de partager avec vous mon histoire, de vous raconter le cauchemar que je vis, depuis plus d’un mois.
Le 11 septembre, j’étais à l’école. Le téléphone du prof a sonné. Elle l’a cherché dans son sac et a décroché. Sous nos yeux médusés, elle a éclaté en sanglots en répétant : «Les tours jumelles se sont effondrées ! ». Avec mes camarades, on l’a regardée sans trop comprendre. Puis, tout est allé très vite. Ma grand-mère est venue me chercher pour m’emmener chez elle. C’était une situation assez étrange… Pourquoi était-elle là ? Pourquoi ne savait-elle pas trop comment m’expliquer l’impensable…
Depuis, il ne se passe pas une seule journée sans que la télévision ne montre l’avion qui vole droit sur l’une des Twin Towers. Qui explose. Qui déclenche une pluie d’hommes et de femmes qui se jettent dans le vide. Le film d’horreur ne s’arrête pas là. Il y a l’autre avion qui percute la deuxième tour, les chapelets de zombies en panique fuyant l’enfer, les yeux hagards, les sirènes des pompiers et des ambulances. Et, puis, il y a l’effondrement des tours jumelles. Je n’en peux plus de voir ces images inonder les magazines et les chaînes télé. J’étouffe ! Au secours !
Car ce que VOUS ne voyez pas, ce que le monde ne voit pas ou ne veut pas voir… c’est NOUS, les orphelins ! Oui, le 11 septembre à exactement huit heures quarante-six du matin, j’ai perdu mon père ET ma mère. Ils étaient au bureau… au 96e étage de la tour nord, là où le Boeing de l’American Airlines…
Depuis, je suis seule avec mon chagrin, ma douleur, ma peine… abyssale, ma colère. Vous pensez à nous ? Vous pensez à tous ceux dont les vies ont basculé, ont été brisées ? On va devenir quoi ? Répondez-moi ! Par pitié ! J’ai besoin de savoir !
Ne nous oubliez pas !
Jessica
Laisser un commentaire