« A l’arrière de la camionnette et autres fragments »

Aujourd’hui, c’est  Annie qui vous propose une série de fragments, indépendants les uns des autres. Des gestes brefs et des mouvements plus longs. Bonne lecture !

Petits bonheurs

Il lâche la main de sa mère ! Trop heureux de courir jusqu’à l’immense flaque d’eau qui s’était formée devant l’entrée du garage. De bon cœur, il y saute à pieds joints. Les éclaboussures jaillissent en gerbes plus hautes comme lui. Il rit aux éclats d’être trempé jusqu’aux os et d’avoir pris de court sa mère qui n’a pas eu le temps ni de le retenir, ni de lui dire qu’il n’avait pas ses bottes en caoutchouc !

Rituel

D’un geste délicat, il pose une feuille de papier sulfurisé sur le plateau de la balance. Puis, méticuleusement, il dépose dessus les truffes une par une. Il garde en tête ce qui lui a répété le patron. « Surtout, n’abîme pas ma précieuse récolte ! Chaque gramme vaut de l’or ! »

Jeux de mains, jeux de vilains

La séance s’attarde. Les débats sont vifs. Combat d’idées acharné. L’assemblée des copropriétaires est appelée à voter sur l’installation d’un ascenseur. « Qui est pour ? » Timidement, quelques mains tremblant d’inquiétude, fripées, calleuses, déformées par l’arthrose se lèvent.  « Qui est contre ? » Une vague de mains, souples, dynamiques, lisses, certaines manucurées, d’autres tatouées déferle comme un tsunami dans la salle. Les voilà prises de mouvements convulsifs, elles s’agitent, se crispent, les paumes se serrent, se ferment avant de se muer en poings tendus bras levés en signe de combat. D’une voix discrète, le président de séance poursuit : « Qui s’abstient ? »

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La rentrée des classes

Concentrée, elle écrit la date au tableau. Lundi 12 septembre 1963. Leçon de morale. Sa main droite crispée sur le bâton de craie blanche dessine des lettres bien grosses et rondes. Pour obtenir un tracé régulier, tout son bras est mobilisé : le mouvement naît dans l’épaule pour prendre ensuite de l’amplitude..Son poignet est dans l’alignement de l’avant-bras.

Face au tableau, les pieds ancrés dans le sol, elle se déplace légèrement de gauche à droite pour finir sa calligraphie. En écrivant ces mots, elle réfléchit à chaque forme de lettres et de chiffres, insiste sur les pleins et les déliés en prenant garde de ne pas s’arrêter au milieu des mots. Indispensable de ne pas lever la craie pour ajouter une barre au « t », une cédille au « c » ou un point sur le « i ». Ces « passagers » de l’écriture descendront « à la gare », c’est-à-dire à la fin du mot.

Elle recule d’un pas pour apprécier son travail. Moment d’émotion. C’est son premier jour d’école en tant qu’institutrice. Elle veut que son modèle soit parfait. Satisfaite, elle sort de la classe et marche en direction de la cour, prête à rencontrer ses élèves.

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A l’arrière de la camionnette

D’un geste délicat, il pose une feuille de papier sulfurisé sur le plateau de la balance. 

Puis, il enfile ses gants de coton noir en prenant un soin infini à vérifier chaque entredoigt. Il est très important de chasser les petits plis qui ne sauraient retenir la moindre brisure. Instants magiques.

Madame Duchemin, fidèle cliente d’Antoine, rompt le silence en susurrant : «  200 grammes, s’il vous plaît ! » Avec une certaine délectation, il soulève le torchon de lin qui couvre son panier, posé à l’arrière de son Estafette. Sa récolte s’expose furtivement au regard des curieux, attirés par l’arôme intense qui déjà embaume leurs narines. 

Il prend les truffes une par une. Plus belles les unes que les autres, toutes déjà minutieusement brossées. Prisonnières de son index et de son pouce, il observe leur forme, leur aspect, leur texture. Il se fait un point d’honneur à les vendre entières. Méticuleusement, il les dépose les unes à côté des autres, plie le papier pour les maintenir séparées de la deuxième rangée. Un frottement leur serait fatal ! Pas question d’abîmer leurs robes de velours.

Ces précieux tubercules, il les aime. S’il les chérit autant, c’est qu’il a passé des heures, avec Ulysse, son cochon, à les chercher alentour dans les prés et les sous-bois. Il est si fier de sa récolte, bien meilleure que celle de l’année passée ! Maintenant, il lui tient à cœur que ces diamants noirs brillent sur la table de Madame Duchemin. « Je vais les faire cuire entières, Antoine ! Braisées au Champagne ! » lui chuchote-t-elle, tout en lui glissant plusieurs billets de 500 francs dans la poche de son tablier.

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