« Lettre à l’enfant que je n’ai pas eu… »

Nouveau récit signé Laurent. 

Au soir de sa vie, un vieil homme se penche sur son passé. Il imagine ce que cela aurait signifié pour lui d’avoir un enfant. Ou comment imagination et fiction peuvent aider à surmonter les regrets…

Lettre à l’enfant que je n’ai pas eu…

Mon enfant

Toi que je n’ai pas eu, que j’aurais tant aimé avoir… J’ai vécu une vie pleine. Pleine de joies et de peines. J’ai aimé à la folie, j’ai été tendrement aimé. Mais je n’ai pas eu de descendance. Aujourd’hui, cela m’attriste encore profondément. Et aujourd’hui, au soir de mon existence, à l’heure des regrets, il me reste la fiction et l’imagination pour me forger un enfant, celui que j’aurais tant souhaité avoir. 

Je t’imagine, naissant un jour de printemps, à l’issue d’une longue nuit troublée par le chant des grillons et des cigales. Je t’imagine arrivant au monde au milieu de nous, ta Maman et moi, elle me serrant la main au milieu des douleurs des contractions. Avec, en toile de fond, le ballet des infirmières, des sages-femmes et des médecins, les lumières vives de la salle de travail. 

En te voyant apparaître, j’aurais été ivre de bonheur. Un bonheur indescriptible. Je t’aurais alors pris dans mes bras avec l’impression de tenir la chose la plus précieuse au monde. Et j’aurais eu envie d’annoncer la nouvelle au monde entier.

Et puis, tu aurais commencé à grandir. Et plus tu aurais grandi, plus je me serais attaché à toi. Je t’imagine marchant dans le parc, m’appelant de ta petite voix fluette en me montrant une violette fraîchement cueillie : « Papa, fleur belle ! ». Ou « Papa, au lac ! » De tes petits pas, tu te serais dirigé vers la pièce d’eau. Et j’aurais eu grand-peine à t’empêcher d’y plonger !

A d’autres moments, tu serais venu me voir alors qu’assis, j’aurais été en train de réfléchir. « Papa, triste ? », m’aurais-tu demandé. Et d’ajouter : « Veux pas que papa triste ! » 

Un instant magique où j’aurais eu l’impression que ta tendresse s’incarnait véritablement devant moi, s’identifiait avec moi. Mais cela aurait été paradoxalement aussi un moment d’inquiétude où j’aurais mesuré ce que ta perte aurait signifié pour moi. Tout en pensant que je n’aurais pas mérité un tel bonheur…

Nous aurions tout fait ensemble. Je t’aurais appris à regarder ce que je savais de la forêt, de la montagne, de la mer, des étoiles et des pays lointains. Je t’aurais appris à lire et à écrire. Et puis je t’aurais raconté des histoires. De multiples histoires, vraies et fausses, magiques ou non. Et ensemble, nous aurions inventé des récits de lutins dans des forêts profondes, de héros dans des combats singuliers, de grands artistes solitaires, d’enfants abandonnés devenant rois…

Et puis, tu aurais grandi. Tu aurais commencé à chercher ta propre voie dans les études, dans les livres, auprès de tes amis. Tu aurais commencé à t’éloigner de moi. En grandissant, tu aurais forgé ta propre personnalité.

Tu aurais connu bonheurs et joies. Mais aussi déceptions, peines et colères. Nous nous serions disputés. Beaucoup disputés. Mais nous nous serions toujours réconciliés. Avec ta Maman, tu aurais sans doute été le seul à pouvoir me critiquer vertement, te moquer de moi avec beaucoup d’ironie. 

Tu aurais été mon miroir. Tu serais devenu mon confident. A toi, j’aurais raconté des peines, des joies, des émotions que je n’aurais confiées à personne d’autre, même à ta Maman. Je n’aime pas me confier, car je n’ai guère confiance en autrui.

Par la suite, tu aurais fini par partir. Pour tracer ton chemin dans la vie. Cela m’aurait fait peur, même si j’en aurais été en même temps très fier ! L’ambivalence toujours… D’un coup, la maison serait devenue si vide sans toi. Mais j’aurais toujours été rassuré par tes mails et tes coups de téléphone, même rares, dans lesquelles tu m’aurais raconté les nouveaux tournants de ton existence. A distance, nous aurions continué à dialoguer. Une distance nourrie par ta maturité. 

Aujourd’hui, je te regarderais, mon enfant, avec une immense fierté. Mon enfant, prolongement de moi-même. Et je me dirais : « J’ai au moins réussi quelque chose dans ma vie ! ».

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑