« Stella »

Nouveau récit écrit hors atelier de notre série « Écrire, toujours et encore ». Il a été imaginé par Annie, inspirée par l’été. Bonne lecture !

Stella

Le jour se lève sur les hauteurs de Monte-Carlo. Il est huit heures. Pas une ride à la surface de la piscine à débordement. Le lieu d’esthétique contemporaine est magique. Un vrai miroir où se reflète le ciel rose poudré du matin. Un rectangle lumineux, tout en pâte de verre, dans un camaïeu de bleu, niché au cœur d’un parc paradisiaque à la végétation méditerranéenne. Palmiers, mimosas, bougainvilliers, lauriers roses et blancs forment un décor naturel, tandis que les alignements de parasols et de chaises longues aux lignes épurées apportent une touche graphique, le tout invitant à la zénitude.

Majestueuse, Stella descend les marches de l’escalier qui mène au bar de l’hôtel. Enveloppée dans un paréo fluide en voile blanc, elle se cache derrière une imposante paire de lunettes noires, à la monture papillon, digne d’une star hollywoodienne. Une large visière rose fluo en plastique retient sa tignasse bouclée.

Elle s’allonge toujours au même endroit, tout à l’opposé de la pataugeoire et à bonne distance du plongeoir. Pas question pour elle d’être gênée par les enfants qui braillent ou leurs parents qui s’égosillent à se faire obéir. Pas question non plus de se faire arroser par les plongeurs. Stella aime ce petit coin tranquille, sous une paillote, où elle peut, en toute quiétude, lire les best-sellers de l’été et des romans à l’eau de rose. Voilà une bonne dizaine d’années qu’elle vient se ressourcer dans cet hôtel de luxe. Elle y a ses petites habitudes. Tout le personnel la connaît, la chouchoute du directeur à la femme de chambre à qui elle laisse de généreux pourboires.

Chaque matin, c’est le même rituel. Stella recouvre la chaise longue de deux épaisses serviettes de bain aux couleurs acidulées, ôte son paréo, le plie en carré pour en faire un oreiller. Puis, elle sort son livre et commence à s’enduire méticuleusement le corps de crème solaire. Aujourd’hui, elle porte un bikini qui souligne avantageusement ses formes et illumine son bronzage parfait, cuivré : culotte irisée couleur ivoire avec ceinture ajustée sur les hanches; bandeau assorti, noué sur la poitrine, qui sublime son décolleté. La ressemblance avec la légendaire, Ursula Andress, dans « James Bond 007 contre Dr. No » est frappante. Tout aussi sculpturale. Torride même.

Elle a décidé de paresser car, demain, ce sera le retour à Paris… aux affaires, aux bilans, la course aux plannings, l’élaboration de nouvelles stratégies, l’ouverture de bureaux à Dubaï et Tokyo. Elle a en tête la mélodie du «  Blues du businessman ». Pas question de se laisser envahir par cette rengaine ! C’est le moment de se laisser bercer par le bruissement des feuilles de figuiers, de se laisser caresser par la brise, de s’abandonner … pour goûter pleinement l’instant présent !

Sur le coup de onze heures, une musique aux accents électro-pop la tire de sa rêverie. C’est l’heure de l’aquagym. Non, elle n’ira pas travailler ses abdos, ni ses fessiers. Trop envie de coincer la bulle. Elle regarde le groupe de femmes de tous âges, bouger en rythme, pendant une petite demie heure, coaché par un agité du dance-floor. On dirait Claude François entouré de ses Clodettes ! 

Le soleil est au zénith. C’est l’heure de l’apéro. Fred, l’un des barmen, lui apporte son cocktail coup de cœur, à base de curaçao, rhum et jus de citron, servi dans un verre à dry, givré, agrémenté d’une écorce de citron vert. La première gorgée excite ses papilles, elle qui ne fait qu’un repas par jour. Le soir, elle s’autorise un dîner … frugal. Elle joue à faire tourner le pied du verre entre son pouce et son index, le petit doigt en l’air. Elle savoure des yeux ce liquide bleu intense qui lui rappelle les eaux maltaises du Blue Lagoon. Elle sirote son apéritif azuréen. Petit à petit, elle sent un engourdissement la gagner suivi de légers vertiges.  « Et, si j’allais me faire quelques longueurs pour oublier toutes ces sensations désagréables ? », pense-t-elle, l’esprit guerrier. « Je reprendrai ma séance de bronzage, après ! » Déterminée à ne pas se laisser aller, Stella se redresse, abandonnant sa visière et ses lunettes pour se diriger vers le bassin. Turquoise. Limpide. Les dalles qui l’entourent sont brûlantes, tout comme sa tête où elle sent battre son cœur de façon inhabituelle. 

Elle est maintenant seule sous ce soleil de plomb. Toute la clientèle est attablée au restaurant pour le service de treize heures. Lentement, elle descend l’échelle de piscine. A chaque marche, elle s’offre un petit massage à l’eau fraîche sur la nuque pour essayer d’apaiser les nausées qui l’envahissent. Sans plus attendre, elle se glisse dans l’eau comme une anguille. Sa brasse coulée est maîtrisée. Les mouvements d’ondulation sont rapides. Intérieurement, elle jubile. Quel bonheur d’avoir la piscine rien que pour elle ! C’est un peu comme si elle la privatisait, tous les midis. « Que la vie est délicieuse ! » songe-t-elle. Allers-retours. Une bonne douzaine. Prise de palpitations, elle décide de s’octroyer une pause, s’allonge sur le dos et se laisse flotter. Elle est maintenant au centre de cercles concentriques. Léger clapotis. Ses cheveux forment une étoile autour de sa tête. Ses yeux fixent le ciel. La silhouette longiligne scintille – sans doute les paillettes de l’huile bronzante. Quand, soudain, elle ressent de fortes crampes dans les jambes. Elle est prise de frissons. Son corps déséquilibré bascule. Visiblement paniquée, Stella fait le bouchon, monte et descend sur et sous la surface de l’eau en agitant les bras dans tous les sens. Tout au long de cette gesticulation excessive et désordonnée, elle inhale de l’eau à plusieurs reprises. A ce stade, elle est encore consciente, mais s’épuise. Ses gestes se figent. Les spasmes s’arrêtent. Stella ne montre plus de signes de vie. Silence. L’immersion du corps commence, paisiblement. On dirait une ondine en route vers des abysses mystérieux… La piscine a retrouvé sa quiétude originelle.

Le médecin, dépêché sur place, diagnostiquera un malaise vagal, dû à une longue exposition au soleil, à un effort sportif et à la prise d’alcool. Il parlera de noyade… « bleue ».

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