Le premier récit de notre série autour de l’ « Absurde » est signé Laurent. Nous vous laissons tout au plaisir de la lecture de cette folle histoire qui devrait vous surprendre ! Bonne lecture !
Déconstruction artistique et égotique
J’aime me distinguer. J’aime la création artistique qui me permet de laisser libre cours à mon Moi.
Il m’a évidemment fallu réfléchir longtemps à ma manière de procéder. La nuit, le jour, j’ai donc cogité dans mon lit. En marchant dans la ville. Dans la forêt. Une idée a alors surgi. Il se trouve que j’ai une passion pour les bonzaïs. Pour certains, la création de ces végétaux nains est un acte de cruauté : on les torture pour dompter leur croissance. Mais pour moi, le bonzaï a un côté fascinant : il évoque l’Asie, ses symboles culturels et spirituels, comme ces jardins japonais rendus mystérieux par leur perfection et la sérénité qu’ils dégagent.
Alors, je me suis dit que j’allais remplacer les arbres de ma ville par des bonzaïs. J’ai donc acheté un bulldozer et une scie électrique pour arracher marronniers, peupliers et autres platanes plantés le long des rues. Problème : je ne connaissais pas le mode d’emploi pour fabriquer un bonzaï, je n’y avais tout bonnement pas réfléchi ! Fallait-il couper les branches, les racines ? Le mettre dans un pot ? Mais quel type de pot ?
J’ai tronçonné les arbres au hasard. Je me suis vite retrouvé avec des monceaux de troncs et de branchages sans savoir quoi faire pour les transformer en bonzaïs. Et puis, la tâche était titanesque. Des mauvais coucheurs, tombés dans les trous laissés par les arbres abattus, se sont plaints. J’ai alors dû me cacher quelques semaines pour échapper à la police et faire oublier l’affaire.
Au final, ces semaines de repos forcé ont été bénéfiques. Elles m’ont permis à nouveau de laisser ma pensée divaguer. J’ai regardé autour de moi et renoncé à m’en prendre à de malheureux arbres. Et je me suis dit que j’allais plutôt faire quelque chose autour du logement, de l’habitat. Je m’explique : le logement, l’habitat, c’est un droit humain. Tout un chacun en a un. Ou devrait en avoir un. J’avais donc envie de mener une action où les citoyens se sentiraient nécessairement concernés. Et puis, partout on parle de crise de la construction et du logement, de prêts, de taux d’intérêt etc. Alors, je me suis dit qu’au lieu de construire, j’allais déconstruire ma maison. Oui, la déconstruire, la réduire en mille morceaux. Je l’entendais comme un geste artistique, voire philosophique et spirituel. Je décidai de l’appeler « Déconstruction artistique ».
J’ai donc annoncé cette grande nouvelle aux médias. Balancé des messages sur les réseaux sociaux.
J’ai commencé tôt le matin. La veille, j’avais fait livrer et monter les engins et le matériel nécessaire pour cette déconstruction : grue, camions, échelles, masses… J’ai enfilé un bleu de travail, un casque. Et c’est parti.
Les spectateurs ont commencé à affluer quand je suis monté dans ma barrière. Perché dans ma cabine, je me sentais planer. J’avais installé des barrières de sécurité tout autour du chantier, je devrais plutôt dire « dé-chantier », pour empêcher les accidents. De nos jours, les gens sont si imprudents…
Ensuite, j’ai piloté la grue pourvue d’une masse. Et j’ai tapé. Tapé sur les murs. Mais cette bougresse de maison, elle ne l’entendait pas de cette oreille. Elle ne voulait pas être démontée ! Les pierres avaient du mal à tomber, il y avait de la poussière partout qui retombait sur le sol et les spectateurs, dont certains se sont mis à tousser très fort. Pourtant, ils continuaient à arriver. Certains avaient même installé des sièges et des transats pour suivre l’évènement sur la durée. Les caméras, les smartphones filmaient.
J’ai continué à taper. Taper. Tellement fort que la grue s’est mise à tanguer dangereusement. Je dois avouer que j’ai même eu un peu peur… Mais la maison a fini par lâcher prise.
Toutes les pierres, les briques et autres parpaings, les éléments de bois, les barres métalliques sont finalement tombés. Jusqu’à former un énorme tas composite très, très haut. Tout le monde applaudissait. Moi, j’étais heureux. Tout simplement.
Devant le « dé-chantier », j’avais installé un grand panneau, avec mon nom en très gros, pour expliquer mon geste. Bien sûr avec le titre de cette opération : « Déconstruction artistique et égotique ».
Mais ce n’était pas fini. Car il faut de l’art avant toute chose ! J’avais aussi acheté de grands sacs spéciaux, très solides, dans lesquels on met les gravats sur un chantier avant de les conduire en centre de retraitement. Avec une pelleteuse, j’y ai entreposé les restes de mon ex-maison. Et puis, dans ce qui avait été le jardin, j’ai placé les sacs de telle manière qu’on avait l’impression qu’il reproduisait une rosace de cathédrale démontée et posée à terre: comme si la tradition et l’avant-garde étaient regroupées en un même lieu. Mais laissant parler mon imagination, j’avais disséminé d’autres tas un peu partout. Pour que chacun puisse et se créer sa propre architecture intérieure.
Le soir, j’étais un peu fatigué. J’avais décidé que pour la première nuit sans chez moi, je dormirai… dans la cave que je n’avais pas déconstruite. Tôt le lendemain matin, mon téléphone a sonné. A l’autre bout du fil, une femme avec un fort accent américain m’a expliqué qu’elle travaillait pour la banque Real Estate Artistic Bank (REAB). Elle avait entendu parler de mon initiative, qu’elle trouvait « extouaordinère ». Soutenant les initiatives artistiques originales, REAB souhaitait exposer « Déconstruction artistique et égotique» devant son siège à New York, près de la Trump Tower. La banque m’offrait 10 millions de dollars. De quoi me payer de nouvelles maisons. Il fallait seulement que j’organise, à ses frais bien sûr, le transport de mon œuvre de l’autre côté de l’Atlantique. « C’est votre quarter d’hour de célébrity », m’a dit la représentante de la banque artistique en riant. Franchement, ce « quart de célébrité » commençait bien : il était bien parti pour durer un peu plus que 15 minutes.
Le premier récit de notre série autour de l’ « Absurde » est signé Laurent. Nous vous laissons tout au plaisir de la lecture de cette folle histoire qui devrait vous surprendre ! Bonne lecture !
Déconstruction artistique et égotique
J’aime me distinguer. J’aime la création artistique qui me permet de laisser libre cours à mon Moi.
Il m’a évidemment fallu réfléchir longtemps à ma manière de procéder. La nuit, le jour, j’ai donc cogité dans mon lit. En marchant dans la ville. Dans la forêt. Une idée a alors surgi. Il se trouve que j’ai une passion pour les bonzaïs. Pour certains, la création de ces végétaux nains est un acte de cruauté : on les torture pour dompter leur croissance. Mais pour moi, le bonzaï a un côté fascinant : il évoque l’Asie, ses symboles culturels et spirituels, comme ces jardins japonais rendus mystérieux par leur perfection et la sérénité qu’ils dégagent.
Alors, je me suis dit que j’allais remplacer les arbres de ma ville par des bonzaïs. J’ai donc acheté un bulldozer et une scie électrique pour arracher marronniers, peupliers et autres platanes plantés le long des rues. Problème : je ne connaissais pas le mode d’emploi pour fabriquer un bonzaï, je n’y avais tout bonnement pas réfléchi ! Fallait-il couper les branches, les racines ? Le mettre dans un pot ? Mais quel type de pot ?
J’ai tronçonné les arbres au hasard. Je me suis vite retrouvé avec des monceaux de troncs et de branchages sans savoir quoi faire pour les transformer en bonzaïs. Et puis, la tâche était titanesque. Des mauvais coucheurs, tombés dans les trous laissés par les arbres abattus, se sont plaints. J’ai alors dû me cacher quelques semaines pour échapper à la police et faire oublier l’affaire.
Au final, ces semaines de repos forcé ont été bénéfiques. Elles m’ont permis à nouveau de laisser ma pensée divaguer. J’ai regardé autour de moi et renoncé à m’en prendre à de malheureux arbres. Et je me suis dit que j’allais plutôt faire quelque chose autour du logement, de l’habitat. Je m’explique : le logement, l’habitat, c’est un droit humain. Tout un chacun en a un. Ou devrait en avoir un. J’avais donc envie de mener une action où les citoyens se sentiraient nécessairement concernés. Et puis, partout on parle de crise de la construction et du logement, de prêts, de taux d’intérêt etc. Alors, je me suis dit qu’au lieu de construire, j’allais déconstruire ma maison. Oui, la déconstruire, la réduire en mille morceaux. Je l’entendais comme un geste artistique, voire philosophique et spirituel. Je décidai de l’appeler « Déconstruction artistique ».
J’ai donc annoncé cette grande nouvelle aux médias. Balancé des messages sur les réseaux sociaux.
J’ai commencé tôt le matin. La veille, j’avais fait livrer et monter les engins et le matériel nécessaire pour cette déconstruction : grue, camions, échelles, masses… J’ai enfilé un bleu de travail, un casque. Et c’est parti.
Les spectateurs ont commencé à affluer quand je suis monté dans ma barrière. Perché dans ma cabine, je me sentais planer. J’avais installé des barrières de sécurité tout autour du chantier, je devrais plutôt dire « dé-chantier », pour empêcher les accidents. De nos jours, les gens sont si imprudents…
Ensuite, j’ai piloté la grue pourvue d’une masse. Et j’ai tapé. Tapé sur les murs. Mais cette bougresse de maison, elle ne l’entendait pas de cette oreille. Elle ne voulait pas être démontée ! Les pierres avaient du mal à tomber, il y avait de la poussière partout qui retombait sur le sol et les spectateurs, dont certains se sont mis à tousser très fort. Pourtant, ils continuaient à arriver. Certains avaient même installé des sièges et des transats pour suivre l’évènement sur la durée. Les caméras, les smartphones filmaient.
J’ai continué à taper. Taper. Tellement fort que la grue s’est mise à tanguer dangereusement. Je dois avouer que j’ai même eu un peu peur… Mais la maison a fini par lâcher prise.
Toutes les pierres, les briques et autres parpaings, les éléments de bois, les barres métalliques sont finalement tombés. Jusqu’à former un énorme tas composite très, très haut. Tout le monde applaudissait. Moi, j’étais heureux. Tout simplement.
Devant le « dé-chantier », j’avais installé un grand panneau, avec mon nom en très gros, pour expliquer mon geste. Bien sûr avec le titre de cette opération : « Déconstruction artistique et égotique ».
Mais ce n’était pas fini. Car il faut de l’art avant toute chose ! J’avais aussi acheté de grands sacs spéciaux, très solides, dans lesquels on met les gravats sur un chantier avant de les conduire en centre de retraitement. Avec une pelleteuse, j’y ai entreposé les restes de mon ex-maison. Et puis, dans ce qui avait été le jardin, j’ai placé les sacs de telle manière qu’on avait l’impression qu’il reproduisait une rosace de cathédrale démontée et posée à terre: comme si la tradition et l’avant-garde étaient regroupées en un même lieu. Mais laissant parler mon imagination, j’avais disséminé d’autres tas un peu partout. Pour que chacun puisse et se créer sa propre architecture intérieure.
Le soir, j’étais un peu fatigué. J’avais décidé que pour la première nuit sans chez moi, je dormirai… dans la cave que je n’avais pas déconstruite. Tôt le lendemain matin, mon téléphone a sonné. A l’autre bout du fil, une femme avec un fort accent américain m’a expliqué qu’elle travaillait pour la banque Real Estate Artistic Bank (REAB). Elle avait entendu parler de mon initiative, qu’elle trouvait « extouaordinère ». Soutenant les initiatives artistiques originales, REAB souhaitait exposer « Déconstruction artistique et égotique» devant son siège à New York, près de la Trump Tower. La banque m’offrait 10 millions de dollars. De quoi me payer de nouvelles maisons. Il fallait seulement que j’organise, à ses frais bien sûr, le transport de mon œuvre de l’autre côté de l’Atlantique. « C’est votre quarter d’hour de célébrity », m’a dit la représentante de la banque artistique en riant. Franchement, ce « quart de célébrité » commençait bien : il était bien parti pour durer un peu plus que 15 minutes.
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