« Suivez le guide ! »

C’est Anne qui vous accueille aujourd’hui au Musée des objets disparus. Bonne lecture !

Suivez le guide !

« Avancez, Mesdames et Messieurs, n’ayez pas peur, il y aura de la place pour tout le monde, vous n’êtes pas bien nombreux aujourd’hui. Vous avez droit à la visite viaïpie, alors dépêchons-nous s’il vous plaît pour tout voir. Vous êtes ici, Mesdames et Messieurs, dans le Saint des saints, la dernière étape de notre visite. C’est pas tous les jours que l’on fait visiter le Saint des saints, dites … j’ai dû aller chercher la clé dans la réserve, avec le cagnard qu’il fait, pauvre de moi. Alors tiens, si vous voulez dire « Je le plains, le pauvre guide qui se décarcasse pour nous montrer ses plus belles pièces alors qu’il serait mieux à la pêche », vous pouvez brandir votre index gauche, celui qui est muni de sa puce … Oui Madame, de sa puce monétaire, vous pouvez aller le scanner sur le flashclic que vous trouverez près de la porte pour donner un bon pourboire au guide. Mais dites, là j’en vois qui en profitent pour rétroéclairer leur paume et regarder l’heure. Vous pouvez partir, si vous êtes pressés, mais croyez-moi, vous rateriez quelque chose !

« La plus belle pièce de notre collection, Mesdames et Messieurs, elle est là, dans cette vitrine recouverte d’un drap noir. Mais non, elle est pas en deuil, il est marrant le Monsieur. Le drap noir, c’est pour la protéger du soleil. Car elle est très fragile et très délicate. Vous voulez la voir ? Vraiment ? Bon. C’est bien pour vous faire plaisir. Tenez, je vais même la sortir de sa vitrine, parce que c’est vous. Doucement … La voilà … Là … Vous voyez ce petit médaillon gravé attaché à une chaîne en or ? Vous savez ce que c’est ? Un médaillon pour conserver une mèche de cheveu de l’être aimé ? Ouh, je vois que certains ont gardé l’âme romantique du temps jadis ! Eh bien non, ce n’est pas ça … Une autre idée ? Une boussole ? Ça pourrait être une boussole, mais ce n’est pas ça non plus. Allez, je ne vous fais pas languir, c’est une montre. Un petit bijou de dame, qui se portait au cou. Les hommes en avaient une aussi, plus massive, qu’ils mettaient dans la poche, et ça s’appelait une montre à gousset. Hein ? Oui ! Bonne question ! Qui sait ce qu’est un gousset ? Personne ne sait ? Ben moi non plus. Je suis pas philologue, moi, je suis guide … Et montre ? Quelqu’un sait ce que signifiait montre ? Exactement ! Ça montrait quelque chose, oui mais quoi ? … Ça montrait l’heure ! Eh oui ! Ce petit bijou date de bien avant les cadrans à affichage laser, d’avant les smartphones, d’avant même les montres-bracelets qu’on a vues tout à l’heure. Eh oui, ça nous remet loin …

« Normalement le couvercle se soulève comme ça. Comme ça … Ils étaient pas pressés, dites donc, s’il faut deux heures pour ouvrir le médaillon, autant lire l’heure dans les étoiles. Voilà, j’y suis. Vous voyez bien le cadran, tous ? Une rosace avec des chiffres en rond, de un à douze, et trois aiguilles. Pourquoi douze, alors qu’il y a vingt-quatre heures par jour, là, les Anciens ont gardé leur mystère, personne ne sait. Et je ne vous dis pas, pour apprendre à lire l’heure avec un truc pareil, il fallait au moins avoir fait Polytechnique. Ça vous dit quelque chose, ce nom-là ? Oui, c’est l’ancien nom de CyberTechnoPôle. Bravo, Monsieur, je vois qu’il y en a qui suivent …

« Vous savez, en ce temps-là , il n’y avait pas deux langues qui disaient l’heure de la même façon. Par exemple tenez, les Britiches, pour dire une heure cinquante-huit, ils disaient toutoutou. Et ça pouvait être aussi bien une heure cinquante-huit que treize heures cinquante-huit. Oui, vous pouvez rire, tu parles d’un truc ! Alors le type qui donnait un rencart à sa copine pour une nuit d’amour, le pauvre, il pouvait l’attendre jusqu’à l’heure du thé !

« Mais je m’égare, revenons à ce petit médaillon, qui nous cache encore bien des surprises. Vous savez comment ça marchait ? Je veux bien vous le dire, mais vous n’allez pas me croire. Regardez ce qu’il nous cache encore … Hmmm c’est vraiment pas facile d’ouvrir ce boitier, avec le temps le mécanisme a dû jouer. Regardez-moi ça. Oui, c’est incroyable, hein, vous avez vu tous ces petits rouages qui s’encastrent les uns dans les autres ! Les Anciens, ils ne connaissaient pas les objets thermoformés, ni les incrustations intradermiques de puces au laser, ni même la cryogénisation, mais regardez ce qu’ils savaient faire quand même ! Quelle minutie ! Quelle délicatesse ! Non, non, s’il vous plaît on regarde avec les yeux, pas avec les doigts. C’est très fragile et il n’en reste plus que sept exemplaires dans le monde. Mais oui, je vous l’ai bien dit, c’est une visite viaïpie, je vous montre nos plus grands trésors.

« Vous voulez voir comment ça marchait ? Eh bien le petit remontoir que vous voyez ici actionnait un ressort, et l’énergie mécanique enclenchait un mouvement. Oui, c’est archaïque, j’en conviens. Il fallait le remonter souvent. Et la remettre à l’heure, parce que pour la précision il y avait encore des progrès à faire. Elle a été révisée le mois dernier, oui, il paraît qu’elle marche encore. Je n’ai jamais essayé de la remonter, non, si je la casse ma carrière est fichue, je ne sais même pas dans quel sens il faut tourner. Comme ça, sans doute. On appelait ça le « sens des aiguilles d’une montre », qui est le sens horaire, tout simplement. Ah tant pis, j’y vais. Ecoutez ! Taisez-vous ! Là … Vous entendez ce petit bruit ? Tic-Tac Tic-Tac. Ah c’est trop beau, j’en ai la main qui tremble ! On dirait un tout petit cœur qui bat. Un tout petit cœur qui nous parle du fond des âges. »

– Tic-Tac Tic-Tac. »

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