Nouveau récit, un brin révolutionnaire, signé Anne qui vous transporte, en 2050, auprès d’une machine à laver partagée ! Bonne lecture !
Bella ciao
Je suis d’une humeur massacrante.
Suite à une mutation professionnelle, j’ai dû déménager dans une région pourrie, pour vivre dans un appartement pourri, avec des voisins pourris. Ici, le mot d’ordre, c’est la mutualisation. Et me voilà bien malgré moi longeant une pelouse mutualisée bordée d’un petit cours d’eau qui clapote, en me coltinant mon ballot de linge sale lourd comme un âne mort, et ça pour me rendre à la machine à laver mutualisée. Vous m’imaginez, moi, dans un bad trip pareil ? Non, vous me direz, mais c’est vrai que vous ne me connaissez pas. Ma copine Carole, elle, elle me connaît. Et elle me dit « Ne sois pas bougonne comme ça, il faut dialoguer avec les autres, au lieu de te renfermer ».
Vous allez voir si je dialogue ! J’arrive devant le local marqué « Buanderie mutualisée », et d’un coup de ballot bien amené, j’envoie valdinguer la porte battante selon l’arc de cercle prévu, pour qu’elle aille s’écraser Vlan ! contre le mur. Ça soulage. Et je crie « Salut les gueux ! » Seule une voix me renvoie un bonjour timide. C’est une femme très jeune, très blonde et très pâle, à genoux au sol, qui ramasse d’un geste accablé des vêtements mouillés. Son visage est baigné de larmes.
– Tu tombes mal, dit-elle, toutes les machines sont prises.
– Mais ça ne va pas du tout ! J’ai mon jeton pour quinze heures, je dois avoir une machine !
– La femme du syndic a dit qu’elle avait beaucoup de linge à laver et qu’elle était prioritaire. Elle a une clé spéciale pour stopper les machines, et regarde ! Elle n’a même pas pris la peine de mettre mon linge dans une panière, elle a tout mis par terre.
A ces mots, ses larmes redoublent. Aussitôt, je pose mon ballot et me baisse pour l’aider à ramasser. D’autres femmes sont là, cinq, six peut-être, qui ne prêtent pas attention à nous, occupées qu’elles sont à recenser leurs griefs contre le principe de la mutualisation. Je m’adresse à nouveau à la jeune femme :
– Mais il ne faut pas pleurer comme ça, ce n’est jamais que du linge !
– Oui, répond-elle, mais je n’ai plus de jeton, et mon mari ne va pas être content.
Je soupire : « Il faudrait peut-être mutualiser les maris, ça nous soulagerait d’autant ! ». A ces mots, le groupe de femmes dresse l’oreille, intéressées qu’elles sont par ma proposition. Grisée, je poursuis mes suggestions subversives. « On devrait aussi faire la lessive à la rivière, comme nos arrière-grands-mères ! »
– Tu crois qu’on peut ? demande mon amie blonde.
– Bien sûr qu’on peut, tiens, j’y vais avec mon ballot.
Et libérée, guidant le peuple, j’emmène mes compagnes de révolte vers un lavoir improvisé.
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