« Quand Tony est entré dans le snack-bar »

Dernière valse des mots avec une histoire imaginée par Carmen pour la scène 1 et Laurent pour la scène 2 et pour la scène 3. Légère différence avec le Bal Littéraire, Carole Prieur, intervenante d’A Mots croisés, propose de finir notre texte avec la première phrase de la chanson.

Nous partageons maintenant le récit de Carmen qui s’appuie sur la chanson de « Lili voulait aller danser » de Julien Clerc. Elle devait donc finir son texte par la première phrase de la chanson : « Quand Tony est entré dans le snack-bar». Suivront ceux de Laurent imaginés à partir de « Moi, je suis tango » de Guy Marchand –  Chanson choisie par Anne C. et enfin de « Quatre murs et un toit » de Bénabar.

Nous vous souhaitons bonne lecture et … bon bal, si vous mettez la musique ! 

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« Lili voulait aller danser » de Julien Clerc (1982) –  Paroles : Luc Plamondon Musique : Julien  Clerc 

 

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Les cheveux dans le vent, Lili courait après son bus.  Elle allait encore le rater ce matin. Pourtant, elle n’avait pas le luxe d’arriver une fois de plus en retard. La jeune fille craignait de ne pas voir son job d’avocate stagiaire se muer en CDI. Hélas, il passa littéralement sous le nez de Lili. A bout de souffle, elle n’eut même la force de pester. Sa journée démarrait mal.

En réalité, elle avait surtout peur de la réaction de ses parents. Bien entendu, ils ne lui feraient aucun reproche mais, elle ressentirait leur déception, leur silence rempli de non-dits. Fille unique, ils avaient absolument tout misé sur Lili. Dès le berceau, sa vie fut planifiée. Elle irait loin, ils en étaient convaincus. L’avenir leur donna raison. Lili se montra obéissante mais surtout brillante dans son cursus. Elle avait fait son droit à Panthéon Assas, gagné haut la main le concours d’éloquence de la petite conférence. Chemin toute tracé, Lili dépassait les espérances de ses parents. Couple de hauts cadres, ils véhiculaient tous les stéréotypes des bobos parisiens. Ecologistes, généreux dans leurs dons et bien-pensants dans leurs opinions.

Jusqu’à présent, Lili qui venait de fêter ses 24 ans n’avait pas eu de réelle vie amoureuse. Juste quelques histoires sans importance et a vingt ans une virginité offerte à Augustin. Depuis personne n’avait fait battre son cœur. D’ailleurs, comment aurait-elle pu ? Entièrement dévouée à ses études, elle n’avait guère eu loisir de batifoler. Parfois, elle s’accordait une pause et sortait avec des amis au ciné ou boire un verre dans un bar branché.

Pour l’heure, Lili était fort ennuyée. Le prochain bus n’arriverait que dans 20 mn. Une éternité lorsqu’ on n’est pas en avance. En marchant à bon pas, elle devrait parvenir à minimiser son retard. Boulevard Raspail. Le marché hebdomadaire s’étalait de tout son long. Si les commerçants étaient tous installés, les clients, quant à eux, se faisaient rares en ce début de matinée. Seuls quelques personnes déambulaient entre les stands. Stressée, Lili tentait de se frayer un passage lorsqu’elle entendit un homme l’interpeler.

– Eh Mademoiselle, où courez-vous de bon matin ?

Elle s’arrêta sans bien réfléchir pourquoi. D’ordinaire, elle aurait continué sa route, sans un regard pour celui qui venait parler. Mais, elle fut intriguée par un accent inconnu. Elle se retourna pour découvrir celui qui s’était permis l’interpeller. Derrière, un étal proposant des objets allant d’ustensiles de cuisine au matériel de bricolage, se tenait un jeune homme aux yeux noirs, aux cheveux bouclés et ébouriffés, au sourire qui semblait vouloir embrasser la terre entière.

– Je suis en retard et extrêmement pressée.

– Ah oui ?  Moi, je dis que courir ne sers à rien. Ça ne change pas grand-chose en vrai.

Tout en prononçant ces mots, il lui fit un clin d’œil charmeur. Lili était médusée devant l’audace de ce garçon. Elle qui n’avait guère l’habitude de ce genre d’endroit, se faisait aborder par un parfait inconnu. Ses courses, elle les faisait dans des marchés de producteurs locaux et des magasins bio. Alors que devant tout ce bric-à-brac, tout lui paraissait sorti d’un autre univers.

– Je m’appelle Tony et vous ?

Si la jeune fille hésitait à répondre, elle restait néanmoins immobile à le fixer. C’est que Tony était beau, très beau même. D’une beauté animale, sauvage, libre. Jamais encore elle n’avait croisé un regard aussi intense que celui de Tony. 

– Mon oncle va venir tenir le stand dans une minute. Je peux vous offrir un café ? Il ne fait pas bien chaud, ça nous réchauffera.

Lili demeurait silencieuse. Oui, non. Il lui fallait choisir, sans parvenir à le faire. Elle avait une furieuse envie d’accepter la proposition. Seule sa retenue naturelle l’empêchait de foncer tête baissée. Car en toute occasion, Lili se montrait modérée. Pas d’excès, pas de vagues. Là, pour la première de sa vie, l’ordre des choses s’en trouvait chamboulé. D’un bus qui lui passait sous le nez, se produisait la magie d’une rencontre inattendue.

– C’est que je dois me rendre à mon travail.

– Moi aussi je travaille et ça ne m’empêche pas de profiter de l’instant présent. On est comme ça, nous les Gitans. Ce qui compte, c’est maintenant.

Lili était de plus en plus tiraillée entre curiosité et crainte. Après tout qu’avait-elle donc à craindre de ce jeune homme mystérieux à des années-lumière de son univers si lisse, si policé, si prévisible en somme.

– Oui. C’est d’accord !

– Génial ! Il y a un café juste au coin de la rue. Allez-y et je vous y rejoins dans deux minutes à peine.

Elle acquiesça et traversa. Direction l’établissement proposé par le forain. Puis, pleine d’un soudain aplomb, elle appela le cabinet d’avocats et prétexta une maladie subite qui la clouait au lit. C’était là son tout premier mensonge. Jamais auparavant Lili n’avait travesti la vérité. En quelques minutes, elle avait balayé d’un revers de la main tout ce qui était elle jusqu’à présent.

A la fois, euphorique et pétrie de peur, elle s’installa à une table. Son cœur bondit quand Tony est entré dans le snack-bar.

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