Dernière valse des mots avec une histoire imaginée par Carmen pour la scène 1 et Laurent pour la scène 2 et pour la scène 3. Légère différence avec le Bal Littéraire, Carole Prieur, intervenante d’A Mots croisés, propose de finir notre texte avec la première phrase de la chanson.
Hier, nous avons partagé le récit de Carmen qui s’appuyait sur la chanson de « Lili voulait aller danser » de Julien Clerc. Aujourd’hui, suit celui de Laurent imaginés à partir de « Moi, je suis tango » de Guy Marchand – chanson choisie par Anne C. . Il devait donc finir son texte par la première phrase de la chanson : « Moi, je suis tango, tango ». Demain, Laurent signera l’épilogue inspiré de « Quatre murs et un toit » de Bénabar.
Nous vous souhaitons bonne lecture et … bon bal, si vous mettez la musique !
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« Moi, je suis tango » de Guy Marchand (1975) – Paroles et musique : Astor Piazzolla
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Lili et Tony ne se quittaient plus. Ils étaient « en amour », comme disait Kevin, le grand copain de Tony.
Très vite, ils avaient décidé d’habiter ensemble dans le bel appartement de Lili, que ses parents avaient acheté pour leur fille unique dans le très chic VIe arrondissement de Paris. C’était, semble-t-il, la solution la plus facile. Tony habitait un appartement HLM avec trois de ses frères et sœurs à Herblay, en grande banlieue. Il faisait les marchés d’Ile-de-France avec son père et son oncle qui tenaient un étal d’ustensiles en tous genres.
Au début, ce fut très beau. Et très facile. Ils s’aimaient et le reste devait suivre. Pour Tony, la capitale, qu’il connaissait très mal, était la ville-lumière, une cité où la vie était facile parce que l’argent y ruisselait. Mais en quelques mois, il déchanta. Tout y coûtait très cher et ce qu’il gagnait ne suffisait pas toujours pour assurer le quotidien parisien. Sans parler des longs trajets en train pour rejoindre son père et son oncle.
Et puis dans le quartier et dans l’immeuble de Lili, il détonnait avec ses cheveux longs et ses jeans salis par les marchés quotidiens. Au départ, les copropriétaires l’avaient pris pour un ouvrier venu travailler dans un appartement. Mais quand ils avaient compris qu’il était le petit ami de Mademoiselle de Flavigny, ils ne se privaient pas de faire des réflexions.
Au départ, Lili n’avait pas perçu les difficultés de son amoureux. Pour elle, vivre dans ce quartier était naturel. De l’argent, elle en avait en travaillant comme stagiaire dans un cabinet d’avocats. Elle n’avait pas de problème de transport puisque le cabinet se trouvait à quatre stations de bus de chez elle. Sauf quand le bus n’arrivait pas…
Mais peu à peu, elle aussi fut atteinte par un certain malaise qu’elle eut des difficultés à analyser. Tous deux étaient de grands lecteurs et fréquentaient assidument la médiathèque du quartier. Ils allaient très souvent au cinéma. Et Lili avait commencé à emmener Tony au théâtre. En fait, c’était au niveau des amis que le bât blessait : ceux de Tony étaient des gens chaleureux, vivants mais bruyants et grandes gueules qui restaient tard le soir. Des voisins s’étaient plaints. Ceux de Lili, eux, étaient beaucoup plus discrets, aimaient les ambiances et les discussions intimes et intimistes.
Et puis, il y avait ses parents. Elle n’aurait pas cru qu’ils réagiraient si froidement quand elle leur avait annoncé que Tony allait emménager avec elle. Leurs visages s’étaient même carrément assombris quand elle leur avait expliqué que son ami était originaire de la communauté des gens du voyage. Et qu’il habitait en grande banlieue.
« Réfléchis bien, ma chérie, tu es jeune. Tu n’es peut-être pas obligée de te fixer tout de suite avec lui. Tu es brillante, promise à un bel avenir. Ne gâche pas tout à cause d’une relation avec un garçon. Tu sais, les gens du voyage, c’est une communauté très soudée et fermée. Ce sont souvent des gens pauvres, dont on dit aussi qu’ils évoluent parfois dans les trafics et la délinquance. Alors, sois prudente ! Entre lui et toi, il y a de grosses, grosses différences à tous les niveaux », lui dirent son père et sa mère après leur première rencontre avec Tony. Une rencontre empreinte de gêne de part et d’autre.
Elle n’aurait pas cru ses parents si méfiants, eux qui s’étaient toujours montré ouverts aux autres. Eux qui n’hésitaient pas à recevoir des personnes de tous les milieux sociaux et allaient aux manifs contre les lois immigration.
Mais voilà, Lili commençait à entrevoir que les choses n’étaient pas aussi simples qu’elle l’avait d’abord cru… De son côté, elle avait été très bien accueillie par la famille de son amoureux. Une rencontre très chaleureuse, pourtant elle aussi marquée par la gêne à certains moments. Notamment quand on avait évoqué sa vie d’avocate.
Alors, chacun d’eux se posait beaucoup de questions. Avaient-ils fait le bon choix ? Pouvaient-ils vraiment envisager de faire leur vie ensemble ?
Survint un incident qui remit tout en cause. Un incident très banal. Un matin, Lili, qui dormait mal ces temps-ci, vint dans la cuisine prendre le petit-déjeuner préparé par Tony. Elle vit le nouveau pot de confiture et éclata : « C’est quoi, ça ? Tu as acheté le truc basique qui coûte pas cher. Tu sais bien que je préfère les confitures bio ! »
« Désolé, Lili, tu sais bien qu’hier, je suis rentré tard du marché de Conflans. Je n’avais plus beaucoup d’argent. J’ai pris le premier pot de confiture qui me tombait sous la main. Et puis, tu me casses les pieds. Non seulement tu aimes être servie. Mais en plus, tu veux toujours le meilleur et le plus cher ! », rétorqua Tony.
Le ton s’éleva. La conversation tourna à l’aigre et partit en vrille. Tony parla des amis « prout-prout » et « méprisants » de Lili. Qui lui répondit par le « sans-gêne » des copains de ce dernier. Peu à peu, tous les non-dits, tous les désaccords furent déballés. Et quand Lili lui reprocha de n’avoir pas aidé son père à carreler la salle de bain de ses parents, la colère de Tony explosa : « Je ne suis pas l’ouvrier de service ni une boniche. Va te faire foutre avec tous tes copains qui enculent les mouches à longueur de journée sur le droit ! Je m’en vais, tu ne me reverras pas ». Il rangea ses quelques affaires dans sa valise et partit en claquant la porte. Laissant Lili hébétée, qui ne savait pas quel parti prendre : entre le fait d’avoir pu exprimer son malaise et la douleur de voir partir ce beau garçon qu’elle admirait.
Sur France Inter, au même moment, passait la chanson de Guy Marchand : « Moi, je suis tango, tango…»
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