« Le parfum de l’herbe verte »

Nouvel atelier avec Carole Prieur, intervenante À Mots croisés, où elle sollicite chacun d’entre nous individuellement. 

À tour de rôle, elle nous fait écouter un bruit, un son ; sentir une odeur ; toucher, palper un objet à l’aveugle et enfin noter quelques pistes d’écriture. Puis, elle nous invite à écrire un récit où le personnage principal va vivre les stimuli sensoriels que nous venons d’expérimenter. 

À suivre le récit imaginé par Adélaïde.

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Le parfum de l’herbe verte

Lissandre prend son épée et se précipite vers son adversaire. Ce grand gaillard fait deux têtes de plus qu’elle mais elle est confiante. Elle commence à courir, trébuche contre une bosse cachée et finit le visage dans l’herbe moelleuse. Le corps ankylosé, le nez dans les brins verts, elle reprend son souffle à l’aide d’une grande inspiration. La fumée s’insère dans ses sinus, envahit son odorat. Elle prend une seconde inspiration. Toujours cette même odeur âcre, quelque chose ne va pas. Cette odeur, ce n’est pas celle à laquelle elle s’attendait. Une part de son cerveau lui dit de se relever, de prendre sa lame et de continuer sa course. L’autre l’avertit : quelque chose ne va pas. Elle se relève d’un mouvement souple et regarde l’homme en face d’elle qui n’a pas bougé. Il semble la narguer. Lissandre renifle à nouveau, toujours cette fragrance de grillé. Elle regarde autour d’elle, scrutant, mais elle ne voit qu’une plaine verte s’étirant sur des kilomètres.   

Son instinct crie plus fort. Il lui dit « Ouvre les yeux ». Alors, elle le sent, son corps allongé contre le matelas ferme, bien au chaud sous sa couette. Sa respiration s’emballe. Il faut qu’elle se réveille. Pourtant elle est là dans cette plaine. Et ses yeux fermés ne veulent plus s’ouvrir. « Bouge Lissandre », se dit-elle, « Bouge une main, un orteil, quelque chose. » Son cœur continue à accélérer. Elle sent l’odeur d’un feu encore plus pleinement alors que son corps reste paralysé, incapable de se réveiller. 

D’un seul coup, elle sent sa gorge gratter. Un petit fourmillement qui devient une envie irrésistible. La toux lui déchire les poumons, la faisant se relever brutalement en position assise. Sa gorge brûle et son ventre se contracte jusqu’à lui faire mal. Ses yeux ne voient toujours rien. Est-elle bien réveillée ? Puis elle réalise. Il fait noir, mais surtout, tout autour d’elle une fumée épaisse la cerne. Cette même fumée qui lui irrite les voies respiratoires.

Il devient de plus en plus difficile de respirer. Elle entend son cœur qui bat dans ses oreilles et cherche de l’air. Il faut qu’elle sorte de là ! De cette maison inconnue qu’elle a louée pour la semaine. Elle se met sur ses jambes puis vacille, jusqu’à ce que ses mains rencontrent le sol. Elle respire un peu mieux près du carrelage froid. Son souffle hiératique est à la recherche d’air frais et tente de se calmer, de ralentir son cœur, de prendre une inspiration tranquille. Mais les émanations du feu rendent la tâche impossible. Enfin elle prend deux secondes pour réfléchir, vite. La fenêtre n’est pas une option, il y a les barreaux au rez-de-chaussée. Il faut qu’elle sorte et, en fonction du feu, il lui faudra prendre la porte d’entrée ou la véranda derrière. 

Toujours à quatre pattes, elle se précipite vers la porte, l’ouvre. La fumée, plus épaisse de ce côté lui attaque le nez. Sa respiration devient rauque. A droite, vers la véranda, elle distingue les ombres rouges et orangées. A gauche, uniquement la fumée grise. Elle prend donc à gauche, vers la porte d’entrée. Elle sent ses genoux taper contre le sol dur. Sa respiration se hache, l’air crépite. Elle traverse le couloir, la cuisine, la salle de bain, le salon. De plus en plus lentement. 

La tête lui tourne. Enfin. La porte d’entrée. Sa main atteint la poignée, tire la porte. Rien. Elle est fermée à clé. Où sont les clés ? Sur le meuble. Sa main tâtonne. Vite. L’odeur âcre la fait tousser. Respirer, continuer à respirer. Là, le trousseau de huit clés. Il faut qu’elle trouve celle avec la gommette. Sous ses doigts, le métal lisse est inhabituellement chaud. Elle sent les gravures, les crans, mais pas de gommettes. Sur aucune. Sa dernière inhalation l’étouffe. Où est la clé à la gommette ? Où est-elle ? Encore une inspiration. Son bras la lâche. Sa tête heurte le sol. Sa main a lâché les clés. Elle tâte autour d’elle. Les clés. Respirer. Les clés. Respirer. Encore une fois. Son esprit s’obscurcit. Et sa main retombe définitivement.

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