« Gaya »

Nouvel atelier avec Carole Prieur, intervenante À Mots croisés, où elle sollicite chacun d’entre nous individuellement. 

À tour de rôle, elle nous fait écouter un bruit, un son ; sentir une odeur ; toucher, palper un objet à l’aveugle et enfin noter quelques pistes d’écriture. Puis, elle nous invite à écrire un récit où le personnage principal va vivre les stimuli sensoriels que nous venons d’expérimenter. 

À suivre le récit imaginé par Carmen.

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Gaya

Sonnerie stridente. Gaya émergea d’un sommeil sans rêves, sans cauchemars. La violence du son, dans l’exiguë cabine de repos, emplissait toute sa tête. Avant le grand désastre, les nuits de la jeune femme étaient peuplées de songes colorés et son imagination fertile savait l’emmener voguer vers de lointaines contrées. 

Gaya revêtit son uniforme de gradé. Elle se devait d’être impeccable. Son supérieur hiérarchique ne tolérait pas le moindre manquement. Puis, pour rejoindre le poste de commandement, elle se dirigea vers le « tub express ». Il reliait tous les points stratégiques de la station orbitale « Esperanza ». Il grouillait de techniciens, de scientifiques, de gardes, tous silencieux. Pas de mots échangés, tout juste quelques regards. Il n’y avait que le sifflement du tub pour crever ce silence.

A trente ans et nouvellement affectée, Gaya était l’officier en second à bord. Cela lui avait valu de nombreuses jalousies chez ses camarades de promo. Ambitieuse, prête à tout pour réussir, elle était surtout mue par une farouche volonté, de participer au programme « Terra Nova », une nouvelle planète à investir. Jamais, elle n’avait jugé utile d’expliquer ses profondes motivations. Découvrir une planète dépourvue de toute pollution, retrouver un monde originel. Mais, d’un naturel discret, presque sauvage, elle encaissait sans broncher ce qui était colporté dans son dos.

La plupart des officiers de l’état-major venaient de milieux aisés, élitiste, alors les origines modestes de Gaya furent également un sujet de raillerie. Sur terre, la jeune femme avait grandi en marge des métropoles tentaculaires, près des derniers bois encore debout, avec la caresse des vents venus de la mer.

Sous l’aveuglante lumière des néons, elle aimait se remémorer le fracas des orages d’été, la pluie mouillant son visage tourné vers le ciel, le parfum de la terre après l’averse, l’odeur des brumes au petit jour sur la prairie encore endormie. Le brusque arrêt du tub mit fin à ses divagations. Parvenue dans la salle d’observation, son colonel la briefa sur l’imminence des opérations en cours. A bord de La navette exploratrice se préparaient à embarquer, une biologiste, deux soldats, un météorologue, tous des experts dans leur domaine. Les dernières données sur « Terra 315 » donnaient à penser que la planète présentait le potentiel adéquat à une possible colonisation. Une atmosphère respirable, des lacs, des océans, des forêts luxuriantes. En revanche, aucune présence animale n’avait pu être détectée. Alors, la mission d’aujourd’hui avait pour but d’assurer l’absence de danger pour les futurs pionniers. Gaya prenait connaissance du rapport établi la veille. Lorsqu’elle lut « forêt », un frisson la parcourut. Ce pourrait-il qu’elle puisse à nouveau toucher une écorce rugueuse, enlacer un tronc généreux, frôler des branches, froisser une feuille d’automne. Tandis que sa vie dans cette station spatiale, avait la fadeur du pain sans sel, l’odeur d’une salle d’hôpital, la froideur d’un univers aseptisé. Jour après jour, Gaya se sentait prisonnière de cette station stellaire où tous, sauf elle, semblaient avoir trouvé leur place.

Sur l’aire de décollage, l’effervescence trahissait l’appréhension du personnel de la base orbitale. La terre se mourrait et l’humanité se disputait ses ultimes ressources sous le regard consterné des derniers protecteurs de la nature.

Sous l’imminence du départ, la plateforme venait de vider de ses techniciens. Le compte à rebours venait d’être déclenché. Voix froide, méthodique, métallique. Gaya détestait ce son monocorde, oppressant. Elle aurait voulu se boucher les oreilles pour ne plus le subir, mais elle n’en avait pas le droit. C’est donc sans ciller qu’elle écouta s’égrener les dernières secondes avant le saut dans l’inconnu.  5. 4. 3. 2. 1. 0.

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