Dernier atelier d’écriture de la saison 2023-2024 ! Carole Prieur, intervenante À Mots croisés, nous lit les premières pages* du roman de Marie-Hélène Lafon : « Nos vies » où l’auteure y décrit longuement Gordana, son personnage principal. Extrait :

https://www.babelio.com/livres/Lafon-Nos-vies/961097

Carole nous invite à nous inspirer du physique de ce personnage et à la faire évoluer dans le cadre de notre choix.

Nous vous souhaitons bonne lecture du récit imaginé par Anne B.!

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Gordana regarda sa montre : encore quinze minutes et le flux des voitures voraces devrait ralentir, peut-être même qu’elle pourrait s’accorder quelques minutes de pause. La chaleur commençait à l’incommoder, elle qui pourtant était résistante à ces températures démentes. Ils avaient annoncé une journée particulière brûlante. Les plus fortunés des clients ne s’aventuraient pas à sortir et préféraient rester leurs bolides climatisés. Ils faisaient signe à Gordana  d’assurer le service attendu, avec plus ou moins de respect. Gordana se demandait combien de temps, elle aurait la force d’assurer ce boulot, à encaisser toutes les remarques graveleuses et les regards malaisants à son encontre. Elle avait serré les dents pendant de nombreux mois. Elle en avait traversé des frontières par-delà l’océan pour atteindre cette illusion d’eldorado. Elle s’était retrouvée là dans ce décorum de pseudo station service à l’allure fifties cliché. 

Gordana n’en pouvait plus et ce rôle qu’on lui faisait jouer contre son gré, de pin-up vulgaire, désormais elle avait en horreur cette blouse rouge ostensiblement ouverte qui laissait apparaître sa poitrine généreuse et opulente. Cette blouse en coton épais écarlate sur laquelle étaient brodées les lettres de l’empire TEXACO. Elle voulait vomir cette odeur d’essence qui s’était imprégnée, infiltrée jusque dans ses veines. Elle n’était plus à ce qu’elle faisait, elle n’entendait plus rien. Elle ne pensait qu’aux prochaines dix minutes qui la séparaient de sa pause.

Gordana repensa aux verdoyantes forêts de son pays, à la brume fraîche du matin et au chant du coq de son village. Partir, partir, fuir ces espaces factices, de verre et de métal, fuir ces faux semblants, ce monde de paillettes si ensorcelant et de luxe réservé à un petit noyau. Elle en avait enduré des épreuves, à travers son périple, mais elle était à bout.  Elle s’était trompée, elle pensait sortir et fuir le joug familial et de la tradition. 

Dans une minute, elle quitterait cette station si clinquante mais si sordide. Elle rassembla ses affaires personnelles, choisit une paire de lunettes quelconque en promo sur le présentoir.  Elle rit une dernière fois à une pseudo blague d’un client, puis demanda à sa collègue Tracy de la relayer. 

Elle se dirigea vers les toilettes après avoir caché maladroitement son sac sous sa blouse. Elle recouvrit ses cheveux du foulard de sa mère qu’elle avait toujours gardé depuis son départ d’Albanie et mis les lunettes dérobées. Elle se devait d’être discrète car elle savait que le gérant, le cousin éloigné de l’ami de son père avait eu des consignes pour la surveiller. L’Albanie n’était jamais loin. 

Elle sortit à l’arrière du bâtiment et longea la longue bande d’ asphalte un peu fatiguée jusqu’au prochain arrêt de bus. Qu’importe les 50°C qui commençaient à faire suinter le goudron. Elle comptait sur l’indifférence de Tracy et des autres. Sa peau brûlait, personne ne s’était aventuré à prendre le bus. Il ne fallait pas qu’on la reconnaisse, elle avait vu tellement de visages depuis deux ans. Puis, soudain , comme une délivrance, dans le halo de chaleur, la silhouette du car !

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