Copaca’Bagneux – Animation d’écriture « Enfin, libre ! » avec Annie

Écrivante d’A Mots croisés, Annie s’est livrée avec plaisir à l’exercice d’écriture, « Enfin, libre !», proposé mercredi 10 juillet 2024 sur Copaca’Bagneux.

Il s’agissait d’écrire un récit avec un (ou plusieurs personnages), bien ancré dans le temps, dans un lieu. Dérouler comment le personnage va tenir alors qu’il est privé de liberté : ses émotions, ses espoirs, ses fantasmes, ses peurs, ses rêves… jusqu’au moment où elle pourra faire dire à son personnage – et cela sera la phrase finale ou excipit  : « Enfin, libre ! »

Nous vous souhaitons bonne lecture de son récit ! 

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Le Secret du Colosse

Prora, sur l’île de Rügen. 

Pendant toute son enfance, Emma avait entendu son grand-père, Jürgen, colporter des rumeurs sur des trésors cachés et raconter des histoires de fantômes qui hanteraient les lieux. Des histoires qu’il tenait lui-même de son père, Fritz, soldat de la Wehrmacht à Neubrandenburg. 

Un jour, alors qu’elle finissait sa dernière année d’Histoire à la fac de Rostock, elle décida de se rendre à Prora pour explorer les secrets du Colosse de Rügen, autre nom donné à ce lieu lugubre de six étages, situé en front de mer. Cette bâtisse géante, démesurée, de plus de 5 kilomètres de long, avait été construite, face à la mer Baltique, par les Nazis pour devenir un centre de villégiature pour plus de 20.000 travailleurs.

Armée d’une lampe torche, Emma pénétra la carcasse en béton, abandonnée depuis des années sur la plage. Un véritable squelette qui aurait pu être celui d’un monstre marin. Les couloirs interminables, situés côté terre, formaient la colonne vertébrale. Les murs des chambres qui, elles, faisaient toutes face à la mer, étaient couverts de graffitis. Leurs sols étaient jonchés d’ordures en tous genres. Des odeurs nauséabondes imprégnaient les lieux. Sûr qu’à une époque plus récente, des squatteurs avaient dû les investir. Malgré l’atmosphère pesante, Emma sentait monter en elle une étrange excitation. Un secret devait se cacher là, quelque part.

Au détour d’un couloir, elle découvrit une immense salle recouverte d’un carrelage couleur kaki. Avec d’un côté un alignement de douches, de l’autre une rangée de toilettes en enfilade. Elle avançait lentement, scrutait chaque recoin de la pièce avec sa lampe. Elle avait tout son temps. Elle devait trouver l’introuvable. Intriguée par le labyrinthe de tuyauteries, elle se mit en quête d’inspecter chaque tuyau, à la recherche du moindre indice. Quand soudain elle remarqua une inscription gravée le long d’une canalisation d’évacuation : « Der Schatz von Prora leuchtet nicht, sondern befreit verlorene Seelen »* Emma savait qu’elle était proche du but. Que bientôt elle saurait. Qu’elle était sur le point de pénétrer le secret du Colosse.

Confiante, elle reprit sa déambulation. Ses pas la menèrent dans une autre pièce, plus petite. Au fond, derrière un amas de matelas sales, elle aperçut une porte en métal, rouillée par les embruns. Quand elle l’ouvrit, Emma découvrit un espace spacieux, lumineux avec des baies ouvrant sur le front de mer, occupé par des tables, des chaises et … une vaste bibliothèque aux étagères poussiéreuses. Elle n’en croyait pas ses yeux. Des livres, ici ? Depuis quand étaient-ils là ? Qui les lisaient ? Quel genre de livres étaient-ce ? Curieuse d’en savoir plus, Emma les scruta un à un, en prit quelques-uns et s’assit au bureau. Elle resta là un certain temps à les ouvrir, à les parcourir à la recherche d’un indice, d’une trace manuscrite. Un gros dictionnaire, en équilibre en haut d’une pile, tomba avec fracas sur le sol. Bizarrement, il fit basculer une latte du plancher, laquelle en se soulevant, mit à jour une petite boîte en métal, un peu cabossée. Emma l’ouvrit. Elle contenait une liasse de lettres jaunies par le temps. Des histoires de travailleurs qui, emprisonnés à Prora pendant la guerre, racontaient leurs tortures, leurs tourments, leurs espoirs, leurs folies, leurs rêves. Tous y criaient leur amour à leur femme, à leurs enfants, à leurs parents. Tous voulaient leur dire adieu. Tous voulaient laisser une trace. Des mots. Pour qu’on ne les oublie pas.

Emma, les larmes aux yeux, lisait les lettres, les unes après les autres, à voix haute. L’écho lui répondait. Elle se sentait bien, entourée d’une présence bienveillante. Chaleureuse. Douce. Les âmes des travailleurs, enfin apaisées, s’élevèrent dans la lumière du crépuscule. C’est alors qu’Emma entendit un léger murmure : 

« Merci, jeune aventurière ! » dit la voix de l’esprit. « Grâce à toi, nos familles connaîtront notre histoire. Le monde aussi. Grâce à toi, nous pouvons maintenant reposer en paix. Nous sommes… enfin, libres ! »

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*  « Le trésor de Prora ne brille pas, mais libère les âmes perdues. »

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