Pour ce premier atelier d’écriture de la saison 2024-2025, Carole Prieur, intervenante À Mots croisés, a invité le groupe d’écrivants à raconter un organe ou une partie du corps, sans pudeur, ni tabou.

Nous vous souhaitons bonne lecture des récits «  V comme Vessie » d’Annie et « V comme Voix » de Carole.

V comme Vessie par Annie Lamiral

« DERNIÈRE SORTIE AVANT L’AUTOROUTE  ». Moment d’angoisse. Où sera la prochaine aire de repos ? Pas que je sois fatiguée, mais je réalise d’un coup d’un seul que je viens de siffler une, deux, trois bières et que… ma vessie ne va pas tenir longtemps … je la sens déjà qui se réveille. Si je me souviens bien l’article du docteur Feelgood dans mon magazine Santé, ce sont les tensiorécepteurs tapissant la paroi de la vessie qui préviennent le cerveau du niveau de remplissage… Noooon… Pourquoi cette petite sphère de mon bas-ventre se met-elle à picoter ? La voilà, envahie d’un courant incontrôlable de fourmillements.

Je compte les kilomètres. Je compte les minutes. Mais pourquoi ne suis-je pas allée aux toilettes avant de partir ? Je sais bien qu’au cinéma, je ne peux plus tenir trois heures sans pause pipi ! C’était quoi déjà le film où j’ai raté la scène du crime ? Je ne sais plus. Impossible de penser à autre chose qu’à ma vessie !

Je me lance dans une série d’exercice de contraction du périnée. Cela me rappelle mon accouchement. Les séances de gymnastique prénatale, c’est bien loin tout ça. Zut, me voilà prise d’une envie d’éternuer ! Attention, ma belle, il faut contracter ton plancher pelvien. Fort. Plus fort ! Pas question de faire dans ma culotte. Pas question de salir mon siège. La prochaine fois, il faudra vraiment que je mette ma serviette de plage dessus. Au cas où.

« AIRE DE REPOS – 5 km ». Encore cinq kilomètres à 90 km / heure, cela fait combien de minutes à tenir encore ? 

Vite, je file aux toilettes. Panique. « MAINTENANCE EN COURS». Je ne tiens plus. La pression est insoutenable. Je dois soulager ma vessie. De suite. Pas de bosquet à l’horizon. J’ouvre les deux portières du côté droit. Me positionne les fesses à l’air près du siège avant, genoux pliés, pieds bien écartés pour ne pas les éclabousser. Quel bonheur intense d’ouvrir les vannes du réservoir ! Je jubile à la vue du fleuve jaune qui serpente sur le goudron avant de grossir dans le caniveau. Ouf, il était temps ! En remontant mon pantalon, je me prends à chanter : « Libérée, délivrée… »

« V comme Voix » par Carole Tigoki

Ma voix s’est transformée. D’une tonalité aiguë, elle est devenue basse et rocailleuse, comme celle d’un camionneur adepte de café et de cigarettes. Parfois elle s’éteint totalement, je deviens aphone, mes lèvres bougent sans sortir un son. J’ai beau appeler mon chat :

–  Minou, Minou ?

Il ne m’entend pas.

Nous vivons désormais comme deux colocataires étrangers ; je lui donne ses croquettes et il fait des rondes régulières dans la maison, comme s’il était en peine.

Un jour au téléphone, quelqu’un m’a dit :

– Bonjour, Monsieur !

J’ai rectifié de suite.

– Je ne suis pas un Monsieur, mais une dame, Madame MIGNOT !

Mon mari, lui, ça l’amuse.

–  Deux hommes à la maison, c’est un couple d’homos, dit-il.

Cette plaisanterie qu’il répète à souhait, ne m’amuse pas. Mais je ne lui dis rien. J’en ai marre de le lui dire.

Un jour, au supermarché, le caissier m’a  dit :

– Moi aussi, je compte me faire opérer.

Je n’ai rien dit. C’est dramatique ! Voilà que l’on me prend pour un trans.

Après plusieurs mois de réflexion, je suis allée voir un spécialiste. Après une batterie d’examens (analyses de sang, radios et IRM), le verdict est tombé.

– Madame, vos cordes vocales sont usées.  Et à votre âge, il serait risqué de les opérer : vous pourriez perdre votre voix.

–  Perdre votre voix ? 

Ces mots résonnèrent comme des coups de marteau sur ma tête. Je sortis de son cabinet sans voix.

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