En marchant pour la Lorraine

Depuis plusieurs années, A Mots croisés poursuit une coopération inédite avec le Théâtre Victor Hugo (TVH) de Bagneux. Fin novembre, Margaux Naville, responsable des relations avec le public, a accueilli nos écrivants pour leur faire découvrir l’histoire et les coulisses du lieu avant de participer à un atelier d’écriture « Mots en scène », animé par Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés.

Dans un deuxième temps d’écriture, Annie a invité le groupe à rebondir sur le spectacle « Craquage » de Marion Mezadorian, le 7 janvier prochain à 20.30 h. Réservations au 07 85 90 38 65. Après visionnage du teaser https://youtu.be/3y2yi9A_yYY, il s’agissait d’imaginer un jour où c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, un personnage craque.

À suivre le récit imaginé par Nicole.

 En marchant pour la Lorraine…

 Depuis 1978, de nombreuses alertes avaient secoué la sidérurgie lorraine. Après un peu d’espoir en 1981, la nouvelle avait fait l’effet d’une bombe, début 1984 : « Les hauts fourneaux de Lorraine et la quasi totalité des usines allaient réellement fermer! »

Cela faisait des mois, des années que tout le Bassin lorrain se battait comme un diable et jusqu’à l’épuisement…mais sans effet. Un dernier recours, un dernier sursaut : une grande manifestation à Paris.

Le 13 avril 1984, arrivés en voiture, en car, en train, ils avaient déferlé, au petit matin dans la capitale : en majorité des ouvriers en costumes de travail, plutôt des hommes, d’autres en costumes lorrains, plutôt des femmes. Certain(e)s n’étaient jamais « monté(e)s » à Paris. Parisiens et banlieusards, comme moi, étions venus, solidaires, les accompagner. La journée s’était bien passée, sans heurts, revendicative mais dans la gaieté. On avait partagé les casse-croûte, repris en choeur les chants habituels. C’était presque la fête. Les lorrains demandaient aux parisiens de leur commenter les quartiers, les monuments rencontrés : un petit côté « touristique ».

 « Dispersion au Champ de Mars » : les haut-parleurs chamboulent tout ! Petit à petit, la gaieté et  les bruits diminuent. Les grands gaillards costauds habitués à manier la fonte disent au revoir aux parigots, maladroitement, des larmes plein les yeux. Mes tripes se nouent : je fuis vers le métro. Il est bondé. Me voilà collée contre la porte qui se referme dans mon dos. Deux religieuses assises un peu plus loin m’observent et m’interpellent : « Vous devez être très fatiguée : venez vous asseoir à nos places . » Tous les regards des passagers se fixent bizarrement sur moi et ils s’écartent tant bien que mal pour me laisser passer. Je m’écroule sur la banquette et « je craque ! » en pleurs… Je cherche un mouchoir et ma main bute sur une ficelle que m’a passée autour du cou un manifestant avant de remonter dans son car. Elle maintient une petite pancarte. Dessus, le dessin d’un ouvrier plié sous une croix de Lorraine qu’il porte sur son dos et ces mots : « Lorraine trahie ! »

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑