Pour ce nouvel atelier, Carole Prieur, intervenante À Mots croisés, a accompagné les écrivants dans la préparation d’un récit qui mettrait en scène un « Village », très particulier.
Ensemble, ils ont décidé d’un lieu, de sa localisation, de sa dénomination et de sa singularité. Puis, en duo/trio, ils ont défini des personnages. Une fois, les informations partagées, chacun a imaginé son histoire du village, vue par un ou plusieurs des personnages.
À suivre le récit imaginé par Carole. Bonne lecture !
L’aveu
La ville de Bagneux-Plage est une ville agréable, située au sud de Paris. La vie allait bon train, les habitants, qui pour la plupart se connaissaient, nouaient des relations de convivialité et se retrouvaient volontiers lors d’évènements comme la fête des vendanges, les journées du patrimoine, la fête des voisins, etc.
Le maire avait financé la construction d’infrastructures collectives : un parc à roller où les jeunes se challengeaient et l’ouverture d’une université des savoirs à la rue des Blains pour permettre à ceux qui le souhaitent d’apprendre, de se cultiver et partager leurs savoirs.
Dans ce contexte, Hippolyte, un jeune Balnéoplagien, féru d’informatique, conçut un site informatique dédié à la ville, à son histoire, à son patrimoine, à sa culture et à l’actualité de Bagneux-Plage. Il fut donc le premier à informer sur son site des événements inhabituels qui s’étaient passés dans la ville.
Mardi 13 juin
– Dans la nuit, la mer est montée jusqu’au bord de la route. Ce matin, les voitures qui passent par le littoral, roulent dans une marre d’eau salée.
Mercredi 14 juin
– Une centaine de corbeaux a envahi le cimetière communal, se promenant de tombe en tombe, les arrosant de leurs fientes liquides et abondantes.
La vie continuait son cours, mais le village était devenu un territoire où chacun entendait les pensées de l’autre et avait accès à des informations privées, intimes.
Certains Balnéoplagiens, ne supportant plus cette vie sans pudeur et absurde, ne sortaient que pour emmener leurs enfants à l’école, faire des courses au supermarché et acheter du pain à la boulangerie. Pour leurs loisirs, ils se rendaient à Montrouge-Plage ou à Chatillon-Plage, des villes connues pour leur discrétion. Un homme, qui se promenait avec sa femme dans la rue des Orchidées, agressa verbalement un autre au motif qu’il convoitait sa femme. La vie était devenue un véritable enfer.
La semaine d’après, le maire fit un communiqué alarmant.
« Lundi 18 juin,
A tous les Balnéoplagiens,
Des habitants de la commune souffrent d’étranges symptômes : chacun entend les pensées de l’autre. La vie est devenue un vrai cauchemar dans notre ville.
Plusieurs d’entre vous ont consulté le Docteur VERNET, sans avoir été soulagés.
Pour l’heure, il n’y a pas de traitement efficace contre cette épidémie, appelée « penséeite » par le corps médical. Nous avons lancé l’alerte aux autorités sanitaires nationales. Les laboratoires ARMED et BIOGRON vous solliciteront pour prélèvements salivaires du 15 au 30 septembre. La police municipale mènera une enquête publique.
Nous comptons sur votre participation et votre patience durant cette période difficile que nous vivons.
..
Monsieur LE QUERRE, Maire de Bagneux-Plage»
Aussitôt, Hippolyte publia ce communiqué sur son site : son post prit une telle ampleur qu’il entraîna des commentaires et des reproches à l’encontre des pouvoirs publics à qui certains reprochaient leur manque de mobilisation.
La vie suivait son cours bon an, mal an, à Bagneux-Plage.
Le bar tabac « LE DAMPIERRE », d’ordinaire très fréquenté, connut une baisse de fréquentation. Fort heureusement, les jeunes, pour la plupart désœuvrés, qui venaient jouer au flipper, permirent au propriétaire de garder la tête hors de l’eau.
D’autres continuaient, à danser au hip hop sur la grande place Ravera, près de l’hôtel-de-ville.
Le salon de coiffure de Josiane avait gardé portes ouvertes. Elle recevait des dames qui profitaient de ce moment de bien-être pour oublier cette épidémie.
Josiane, d’un naturel curieux, écoutait les pensées des unes et des autres. C’est ainsi qu’elle apprit que Madame BENANI, à qui elle faisait une coloration, se souciait de la santé de son mari atteint d’un ulcère à l’estomac ; que Laetitia, vingt-deux ans, enceinte de deux mois, retardait l’annonce de sa maternité à ses parents car elle ne savait pas comment s’y prendre ; que Madame Millet, à qui elle coupait les pointes, pensait à verser une partie du capital de son assurance-vie à son aîné, pour l’aider à démarrer son entreprise.
Pendant ce temps-là, les Balnéoplagiens remplissaient le cabinet du docteur VERNET. Le médecin, agacé par cette affluence de patients impatients, pour laquelle il n’y avait pas de guérison, s’énervait de plus en plus.
Hippolyte alimentait son blog de faits divers causés par cette maladie.
– L’université du temps libre est ouverte aux horaires habituels. N’hésitez pas à vous inscrire aux conférences !
– Le docteur Maurice VERNET reçoit, du lundi au samedi, à son cabinet du 132 rue des Iris, de neuf heures à dix-neuf heures.
– Romain BANON, le fils du marchand de fruits et légumes a été hospitalisé à l’hôpital Sainte-Anne après une tentative de suicide.
– Phénomène étrange, on a remarqué que le personnel de la crèche de la rue des Meuniers est épargné par cette maladie. Toutefois dès qu’ils quittent les locaux, ils ont tous les symptômes de la « penséeite »
– Certain pensent que le cimetière est le seul endroit où l’on peut avoir la paix ; il n’en était rien ! »
Hippolyte, à force de rester branché, devint addict aux réseaux sociaux. Ses nuits devenant de plus en plus courtes, il développa une insomnie sévère. Il devint à fleur de peau, très irritable,ne supportant plus la présence d’Iris, son amie d’enfance. Lorsqu’il fut à bout, il prit rendez-vous au cabinet du docteur Maurice VERNET.
La salle d’attente du cabinet contenait deux chaises en plastique. Le sol ciré brillait de propreté. Docteur VERNET l’accueillit, paré d’un masque facial et de gants qui montaient jusqu’au niveau de ses avant-bras. Lorsqu’Hippolyte se leva, il examina de la tête au pied, reluquant son jogging trop ample, son tee- shirt délavé, et sa casquette vissée de travers sur la tête.
Hippolyte détecta les pensées de VERNET et eut instantanément la sensation d’un étrange malaise.
– Ce n’est pas possible, se dit-il intérieurement.
Docteur VERNET portait une blouse blanche, ses cheveux grisonnants se mariaient volontiers avec ses bottes en plastique. Sous cet accoutrement, on pouvait deviner un costume noir en tweed qui lui donnait un style contemporain.Docteur VERNET l’invita à entrer dans la pièce. Son cabinet était spacieux, sans fioritures. Il lui proposa de s’asseoir sur une chaise plastifiée, sans accoudoir et de poser ses pieds sur un tapis de pieds recouvert de papiers jetables blancs. Docteur VERNET regagna son bureau, à environ un mètre du fauteuil de son patient. Il changea son masque en tissu contre un masque à visière transparent, il se coiffa d’une charlotte, de sorte que l’on ne voyait plus que ses yeux à travers des lunettes.
Puis, il se frotta les mains avec un gel hydroalcoolique qui dégagea une forte odeur chimique, et s’installa devant son ordinateur.
– Quel est votre nom, Monsieur ?
– Hippolyte LABORDE, je viens vous voir parce que ….
A peine eut-il commencé à saisir le nom d’Hippolyte sur son ordinateur qu’il arrêta, et se tourna vers Hippolyte. Il l’avait reconnu, ce jeune blogueur qui alimentait le site de la ville.Soudain, il changea de comportement : ses yeux s’agrandissaient, tandis que son front, seule partie apparente de son visage, rougissait.
Pris d’embarras, une pensée l’obsédait :
– Pourvu qu’il ne le découvre pas, pourvu !!
Hippolyte, qui capta immédiatement sa pensée, l’interrogea d’un air sournois :
– Pourvu que je ne sache pas quoi ?
VERNET garda le silence. Hippolyte le questionna de nouveau.
– Comment avez-vous fait pour vous faire passer pour un médecin alors que vous en n’êtes pas un ? Comment avez-vous pu nous tromper à ce point ?
Le docteur VERNET, bien connu pour son irascibilité, répondit calmement:
– Voilà, j’ai raté ma dernière année de médecine. Je n’avais pas le courage de la recommencer, j’ai donc décidé en 1980 de m’installer dans une ville très éloignée de Bordeaux.
Sans même que Huppolyte n’intervienne, il continua :
– J’ai pris l’identifiant de prescription d’un confrère décédé. Jusqu’à présent, je n’ai eu aucun souci, ni avec la sécurité sociale, ni avec l’ordre des médecins, avec aucun patient d’ailleurs !
Hippolyte le questionna :
– Et comment expliquez-vous que Romain soit aussi malade après votre traitement ?
– De quel Romain parlez-vous ? J’ai beaucoup de patients, je ne connais pas…
Hippolyte l’interrompa, net.
– Romain BANON, le fils du cordonnier qui a été hospitalisé hier à l’hôpital Sainte-Anne ?
– Comme à tous mes patients atteints de « penséeite », avec du doliprane, de la passiflore pour les plus anxieux !
Hippolyte le questionna :
– Et pourquoi a-t-il essayé de s’ouvrir les veines ?
Alors VERNET, qui tenait à se justifier, rentra dans des explications d’ordre médical.
– Certaines personnes ont une fragilité psychologique due à un
sentiment d’insécurité, et sont très fragiles. Leur angoisse est latente et se développe lorsqu’elles sont exposées à une situation stressante ; votre ami l’était certainement.
Furieux, Hippolyte l’interrompit.
« Taisez-vous ! Je ne vous crois pas ! Vous lui avez prescrit un médicament qui a déclenché des angoisses, de fortes angoisses qu’il n’a pas pu gérer ! Vous n’êtes qu’un charlatan, un véritable escroc, et vous ne maitrisez pas les effets indésirables de vos ordonnances ! Vous n’êtes qu’un escroc Monsieur ! »
Le médecin, sidéré par cette charge, baissa les yeux. Puis, il chercha à se justifier.
– Je travaille depuis de nombreuses années à Bagneux-Plage, et je n’ai jamais empoisonné un patient, ni prescrit de médicaments à mauvais escient !
A cet instant, les deux hommes se regardaient comme dans un duel d’honneur. Hippolyte cessa son réquisitoire, et ordonna au médecin une ordonnance de somnifères.
– Je ne peux, réagit le docteur le docteur VERNET, vivement, je ne peux pas Monsieur ! Je dois d’abord vous interroger, vous ausculter, prendre votre tension, vérifier l’état de votre cœur. Ce n’est qu’après que je pourrai faire un diagnostic et vous proposer quelque chose !
Hippolyte écouta les arguments de VERNET sans s’y opposer et sortit du cabinet.
VERNET se laissa aller dans son fauteuil, abattu. Il se déplaça dans la salle d’attente pour dire au patient qui l’attendait qu’il ne pouvait pas le recevoir à cause d’urgence. Il s’enferma dans son cabinet et s’assit dans son bureau. C’est alors que les pathologies des patients défilèrent dans sa tête : allergie, tension, diabète, sciatique, insuffisance cardiaque…
Le lendemain, la femme de ménage le retrouva pendu dans son cabinet, une lettre sur son parchemin, avec ces quelques mots sur une ordonnance vierge : « J’ai toujours soigné mes patients, consciencieusement. Je ne suis pas un escroc ! Docteur Maurice VERNET. »
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