« La décision »

Le 8 mars, c’est la Journée internationale des Droits des Femmes !

Pour l’occasion, nous vous invitons à la lecture de récits imaginés par nos écrivants lors d’un atelier animé par Carole Prieur, inspiré par l’ouvrage « Les femmes qui lisent sont dangereuses » de Laure Adler et de Stefan Bollman.

À suivre le récit de Nathalie. Bonne lecture !

La décision 

Depuis ce matin, je lis dans le jardin au pied de l’oranger et mon trois centième livre est bien avancé. Depuis la mobilisation de Jean sur la ligne de front, la lecture est mon échappatoire. Cela fait maintenant deux ans que Jean est capitaine dans le trente-cinquième régiment d’infanterie.                                

Dans nos correspondances, j’essaie que mes lettres soient joyeuses et optimistes pour contrebalancer celles qu’il me fait parvenir. Lors de sa dernière permission j’ai eu grande peine à le reconnaître tant physiquement que psychologiquement. Tout avait changé : il n’était plus que l’ombre de lui-même. Ces cinq jours à ses côtés m’ont perturbée. Je ne voyais plus son amour, sa complicité mais une bête à la fois rugissante et aux abois. Maintenant, je sais qu’il me fait peur : pour lui-même, mais également pour moi.

Aujourd’hui, j’ai revêtu la robe de nos fiançailles. Le blanc pour la pureté et aussi pour me remémorer les bons souvenirs de notre rencontre, de nos moments partagés en commun. Le blanc de ma pâleur que le reflet du miroir me renvoie depuis quelques temps. Parfois, la faim me tenaille et à d’autres moments, tout m’écoeure. Je n’irai pas consulter le bon vieux Docteur Vernet, car, depuis ces deux années de guerre, j’ai eu le temps de parcourir les livres de Sciences Humaines comprenant la pharmacologie et les pathologies médicales, au cas où Jean revienne de cette guerre de tranchées, blessé.

À cet instant, l’orange posée sur la table du jardin me donne grande faim. Ma robe commence à me serrer à la taille. Jean, au fond de moi, je sais qu’il ne reviendra pas. Et même si son retour était réel ? Pour quelle date ? Dans quel état physique et psychique ? L’ennemi ne faiblit pas et nos lignes du front sont au même point.

Des morts par dizaines, par centaines, par milliers. L’orange me dégoûte, j’ai envie de vomir. De vomir la haine contre les armées, la haine contre les politiciens, la haine contre les êtres humains, la haine contre Jean que je ne reconnais plus et qui ne sera pas présent au moment le plus important de notre existence. Je me sens lasse, ma tête tourne. Le vertige m’assaille. Trop de lecture pour aujourd’hui, je vais aller tricoter. Et si les aiguilles ne servaient pas qu’à cela…

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