« La serveuse de Milwaukee »

Le 8 mars, c’est la Journée internationale des Droits des Femmes !

Pour l’occasion, nous vous invitons, depuis quelques jours, à la lecture de récits imaginés par nos écrivants lors d’un atelier animé par Carole Prieur, inspiré par l’ouvrage « Les femmes qui lisent sont dangereuses » de Laure Adler et de Stefan Bollman.

À suivre le récit d’Annie. Bonne lecture !

La serveuse de Milwaukee

J’ai l’impression que la fraîcheur de la douche est déjà estompée. Inutile d’ouvrir ma valise, de déballer mes affaires, de sortir ma nuisette. Je suis trop lasse. Le vol de New York à Dallas a été épuisant… Ce nourrisson qui n’a pas arrêté de brailler dans les bras de son père. Le pauvre petit bout cherchait le sein, désespérément. Le père qui se confondait en excuses d’avoir oublié le biberon. Non vraiment, jamais, je n’aurais ni mari ni enfants. Déjà assez compliqué de s’occuper de moi d’autant que maintenant, je mène une vie un peu spéciale. Un jour ici, un jour ailleurs. C’est le deal pour ces sales boulots.

Je suis trop fière d’avoir été choisie. Moi, une femme ! Moi qui, il y a six mois encore, étais serveuse au Bobby’s Diner, dans la banlieue de Milwaukee. Avant, j’étais femme de ménage dans un hôtel glauque, aux fins fonds du Minnesota. Normal, à l’époque, je ne savais ni lire, ni écrire. C’est mon père qui disait que les femmes qui lisent sont dangereuses. Il n’a jamais voulu que j’aille à l’école. Il fallait que je l’aide à la ferme quand Maman est morte. Il a pas dû rigoler quand je suis partie. Ce jour-là, il m’avait battue jusqu’au sang pour rien, juste parce qu’il était rentré ivre de la fête du village.

J’ai fui le Minnesota, enchaîné les petits boulots pour survivre. Et puis, j’ai suivi des cours, le soir, pour m’en sortir, pour devenir quelqu’un. Me voilà aujourd’hui peut-être arrivée au bout de toute cette errance. Encore une fois, je vais faire mon boulot, consciencieusement. comme toujours. Et, puis, ni vu ni connu, je disparaîtrai, direction Hawaï. J’aurai alors plein de temps pour lire… des polars, des cold case et qui sait, peut-être, un jour écrire des livres avec des histoires d’amour.

Arrête de rêver, ma belle ! Ce soir, tu dois lire et relire les dernières instructions du boss. Tu dois avoir tout en tête. Ta position. Sous un arbre. Face au 411 Elm Street. Tu dois connaître le timing sur le bout des doigts. Tout est millimétré, chronométré. 11 h 33. Aérodrome Dallas Love Field. L’avion présidentiel, Air Force One, atterrit sur le tarmac. 12 h 15. Houston Street. 12 h 20. Elm Street. 12 h 25. La Lincoln Continental de JFK, un cabriolet noir, vire à gauche et débouche sur Dealy Plaza. 12 h 30. C’est à toi de jouer. Tu n’as que quelques secondes avant que le cortège ne disparaisse sous le pont de chemin de fer, le Triple Underpass. Tu dois réussir ce job! C’est bon. J’ai tout mémorisé, je connais la séquence par cœur. Je n’ai plus qu’à détruire le carnet d’instructions. Le brûler dans la cuvette des toilettes. 

Au lit, maintenant ! Demain, c’est le grand jour ! Jamais j’aurai cru que c’était vrai… que les femmes qui lisent sont dangereuses !

***

Note de l’auteure 

Selon la version officielle de la commission Warren, le 22 novembre 1963, trois coups de feu ont été tirés sur le président John F. Kennedy. En 1976, une seconde commission d’enquête, le House Select Committee on Assassinations, est chargée de réexaminer les témoignages et pièces du dossier. Tout en confirmant l’essentiel des conclusions du rapport Warren, elle conclut cependant à la présence d’un second tireur et accrédite la probabilité d’un complot. Des tirs seraient venus de l’arrière, perpétrés par Lee Harvey Oswald, un autre de face. 

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