Cette année, A Mots croisés a choisi de célébrer la Journée internationale des Droits des Femmes en allant au Musée de la Toile de Jouy que nous remercions vivement pour son accueil.
Après la visite guidée de la collection permanente, Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a invité le groupe d’écrivants à imaginer un récit, un fragment de vie autour d’un personnage principal, impérativement une femme, et de situer le récit à/en lien avec Jouy et la toile de Jouy.
Rappelons brièvement qu’à la Manufacture de Jouy, les femmes occupent des postes dédiés. Elles sont picoteuses, pinceauteuses, tireuses ou couturières et représentent 47% des effectifs.
Nous vous souhaitons bonne lecture du récit imaginé par Carmen !
Louison
Dès l’aube, j’ai quitté Paris, parcouru les quatre lieux me séparant du village de Jouy. Dans l’inconfortable calèche qui me mène de la capitale à la campagne, je peux tout à loisir observer de verdoyants paysages. Le printemps offre le spectacle d’une nature généreuse et pleine d’une exquise sérénité. Déjà, je me sens inspirée par ces fermiers menant leurs bœufs gras pour le marché aux bestiaux de Sceaux, des enfants batifolants avec leur bouc cornu attelé à une charmante carriole, de cette paysanne qu’un jeune cavalier courtise. Que d’insouciance, de beauté, de calme, un tableau idyllique.
Pourtant, je ne peux m’empêcher de concevoir quelques craintes. Ce rendez- vous avec Monsieur Oberkampf a de quoi surprendre. Être sollicitée par un tel entrepreneur est à la fois inquiétude et fierté. Je connais sa réputation d’homme sévère mais paternaliste, exigeant mais ouvert aux nouveaux talents.
Je viens avec de sérieuses recommandations car dans ce monde presque exclusivement masculin, je sais que je vais devoir faire la différence avec mes concurrents. Mais moi, Louison Jouanon ambitionne devenir la première femme peintre œuvrant dans la prestigieuse manufacture de la toile de Jouy. Ce matin, j’aurai aimé que Gaspard se tienne à mes côtés dans ce moment si important pour moi. Il m’a toujours encouragé, soutenu, poussé vers l’excellence pour obtenir le meilleur de moi-même. Avec cet homme, je me sens pleinement femme artiste, disposée à accomplir de grandes œuvres.
Déjà, se profile au loin, l’imposante bâtisse. Jamais je n’ai vu édifice aussi impressionnant dominant tout le paysage. Sur des prés, de jeunes enfants aux mains abîmées par les sels et les pigments s’échinent à étendre de larges bandes toiles colorées. Je peux voir toute une palette de couleurs mises à sécher au doux soleil matinal. Il y a de l’indigo venu des lointaines contrées d’Inde, du rouge garance, le jaune de la gaude.
Parvenue enfin devant la manufacture, je respire longuement pour m’armer de courage. Je suis prête à devenir la seule femme peintre de Jouy.
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Note au lecteur : Mademoiselle Jouanon, peintre de fleurs reconnue, est la seule dessinatrice extérieure à être attachée au « Cabinet des dessinateurs » en 1774.
Illustration : La Manufacture Oberkampf de Jouy-en-Josas, Jean-Baptiste Huet, huile sur toile, 1807, Musée de la Toile de Jouy. Tableau du site industriel. Au premier plan, les bandes de tissus sèchent, étalées dans les prés par des gamins épingleurs (72 enfants embauchés à partir de l’âge de huit ans, en 1805.
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