Toiles de Jouy et rêveries solitaires

Début mars, À Mots croisés a déplacé ses ateliers d’écriture au Musée de la Toile de Jouy que nous remercions vivement pour son accueil. Les ateliers hors-les-murs permettent de renouveler nos pratiques d’écriture et d’ouvrir autrement nos imaginaires.

Après la visite guidée de la collection permanente Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a invité le groupe d’écrivants à imaginer un récit autour de la toile de Jouy. 

Rappelons brièvement que les dessinateurs de Jouy se montrent particulièrement fertiles puisqu’en 1821, au moment de la cession de la manufacture, on estime que 30 000 dessins ont été imprimés à la planche de bois, et plus de 500 à la plaque et aux cylindres de cuivre. Une moyenne de 430 nouveaux motifs par an ! Ces motifs sont souvent monochromes (rouge, bleu, vert, sépia…) sur fond blanc ou écru. Ils peuvent être floraux, exotiques, architecturaux ou représenter des scènes pastorales, mythologiques et historiques. Aujourd’hui, la Toile de Jouy continue d’inspirer des créateurs avec de nouvelles variations modernes.

Nous vous souhaitons bonne lecture du récit imaginé par Laurent.

Toiles de Jouy et rêveries solitaires

La contemplation des toiles de Jouy, aux motifs très divers, le plongea dans une longue réflexion et une profonde rêverie. Il avait rarement vu de tels tissus, qui lui semblaient complètement passés de mode.

« Ils ne sont peut-être plus à la mode. Mais quel travail ! », se dit-il. La précision des dessins, la richesse des motifs, les détails qu’ils contenaient, tout cela était impressionnant. On pouvait y voir pêle-mêle des bergers et bergères rousseauistes sur fond de nature idéalisée, loin de la dureté du travail des paysans. Ou le naufrage d’un navire, sans doute venu tout droit du roman « Paul et Virginie », totalement suranné de nos jours, avec Paul pleurant sur la dépouille de Virginie.

« Etonnante rencontre au pied d’un arbre exotique, au milieu d’un paysage luxuriant, que celle de ces deux jeunes femmes avec des bébés sur les genoux, apparemment très heureux de se rencontrer et de se toucher », murmura-t-il en regardant une autre scène. Et de remarquer que les deux femmes, l’une occidentale, l’autre asiatique, avaient l’air totalement indifférente l’une à l’autre et gardaient un visage fermé. « S’agit-il de deux archétypes, assez maladroitement représentés ? Ou a-t-on voulu montrer l’impossibilité du dialogue entre deux mondes ? », se demanda-t-il.

Il se fit la réflexion que ces toiles étaient à la fois le résultat d’une production de masse, née de la mode et de voyages au long cours, avec les cotonnades venues d’Inde et les teintures importées des Antilles. Elles étaient nées dans l’esprit d’artistes chevronnés, et étaient fabriquées par d’habiles artisans et ouvriers, hommes et femmes. Avant d’être vendues aux cours et aux riches de l’Europe entière.

Mais au-delà, ce qui le frappait dans ces tissus, c’était l’époque révolue qu’elle lui renvoyait. Celle d’un monde où la ville était encore campagne, où le mode de vie était essentiellement rural. Elles lui rappelaient les vacances de son enfance, quand il allait passer l’été chez ses grands-parents à la campagne. Les journées sans fin baignées de soleil sous un ciel d’azur, dans un paysage de verdure traversé par une rivière. Les jeux avec les cousins, les constructions de cabanes dans les arbres. Les balades en vélo. Les courses sans fin dans les prés ou les bois environnants à la poursuite d’ennemis imaginaires ou à la recherche de trésors légendaires. Le soir, il assistait, bouche-bée, au retour des vaches à la ferme où l’on allait chercher le lait.

Dans le même temps, les représentations de scènes chinoises l’emportaient vers des contrées lointaines et exotiques. Vers des humains et des paysages totalement inconnus de lui qui lui donnaient l’envie d’ailleurs. L’envie de partir découvrir le monde, de rencontrer d’autres gens, de vivre d’autres expériences. De tout quitter pour, enfin, réaliser quelque chose par lui-même. Et pour lui-même. 

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