Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.
Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.
Seul dans la forêt corse
Par Laurent Ribadeau-Dumas
27 août
En cette fin d’été, les journées raccourcissent et la fraîcheur commence à tomber sur la forêt de Vizzavone. Les cimes des grands pins s’agitent sous le vent qui souffle fort depuis deux jours. Je suis pris de frissonnements. L’inquiétude sans doute. C’est la première fois que je vais être complètement seul dans cet environnement d’habitude accueillant à mes yeux.
Roque m’a conduit à sa cabane de chasseur. Il m’a dit que je pourrai y rester aussi longtemps que je le souhaiterai. Il m’a posé une seule condition : ne pas allumer de feu à l’extérieur de la cabane. Un foyer mal éteint pourrait embraser la forêt, l’un des plus grands fléaux de la Corse. Je n’ai pas le courage de me faire à manger. Je picore du pain, du lonzu et du fromage que Roque m’a laissés.
La nuit est complètement tombée. Le vent continue à souffler dans les arbres, composant une musique lancinante et mystérieuse qui plane sur la montagne. Un bruit rassurant, parfois interrompu par des chutes de branche.
Je suis fatigué et ne tarde pas à me coucher. Le vent est tombé. L’obscurité est totale. Les étoiles se sont levées et percent à travers les aiguilles de pin. On a l’impression qu’on pourrait presque les toucher. Le silence, lui aussi, est total. C’est ce que je suis venu chercher dans cette forêt qui me rassure chaque fois que je viens y randonner. Mais ce soir, il m’oppresse. Comme s’il annonçait une catastrophe imminente. Parfois, des cris d’oiseaux et d’animaux percent la nuit. L’inquiétude me tenaille, mais je finis par m’endormir…
28 août
Je suis réveillé par des coups sourds donnés à côté de la cabane. Je sors à peine d’un sommeil lourd et je commence par paniquer. Cherche-t-on à m’attaquer ?
J’entends comme des grognements. Vraiment inquiet, je sors de mon abri de fortune. Et tombe nez-à-nez avec deux cochons noirs qui cherchent avidement à ouvrir une caisse abandonnée là. Ils m’observent et finissent par détaler. Le soleil est à peine levé. Le rouge de l’aube domine encore dans un ciel limpide qui s’annonce d’azur.
Je reste là, debout, saisi par la beauté du lieu, encore engourdi par la nuit et quelques petites nappes de brouillard qui s’accrochent aux branches. Je reviens peu à peu à la réalité. Voulant me préparer un café, je me rends compte que j’ai très peu d’eau. Roque m’a parlé d’une source à une centaine de mètres, dans la direction du col. Mais j’ai un peu de mal à m’orienter dans ce paysage qui m’est finalement totalement inconnu.
Je prends mon sac à dos, y mets cinq ou six bouteilles vides qui trônent sur une étagère rudimentaire. Et je pars, peu sûr de moi…
J’ai un moment d’inquiétude quand j’arrive à la source : elle n’a plus d’eau. Je continue donc à marcher au hasard pendant plusieurs heures sous la chaleur. Hélas, sans rien trouver. Tous les points d’eau sont épuisés. Ecrasé par la soif, je suis de plus en plus inquiet. Sans eau, je suis réduit à néant. Mais au moment où je me vois sombrer, j’entends comme le son cristallin d’un torrent. Et je découvre la source qui va m’alimenter tous les jours de mon séjour solitaire. Une découverte fortuite d’autant plus bienvenue qu’elle est en fait toute proche de mon point de départ, la cabane de Roque.
15 septembre
Je me réveille alors que l’orage continue à tonner. Il a plu toute la nuit. Le temps a décidément tourné et l’automne s’annonce. Je sors de la cabane, promène mes jumelles sur le paysage et découvre un troupeau de mouflons qui gambadent au loin dans les rochers. La pluie tombe tristement sur les pins et ruisselle le long des troncs.
Je me fais chauffer un café sur l’âtre de la cabane. Malgré la pluie, je me sens en harmonie avec la forêt. Certes, la cabane n’est pas vraiment d’un grand confort. Mais j’y suis au sec et je n’ai pas froid. Après maintes excursions, je connais désormais les chemins alentour. Je sais maintenant où trouver les champignons qui poussent en abondance, les framboises et les myrtilles qui se raréfient.
Je ne devrais pas trop l’écrire : j’ai même réussi à trouver un cochon sauvage, visiblement tué par la chute d’un rocher. Si son propriétaire l’apprend, je pourrais avoir quelques ennuis. Mais je me rassure en me disant que je ne suis pour rien dans cette disparition… J’ai ainsi eu de la viande pour plusieurs jours. Cuite à la broche, elle était délicieuse ! Il s’agissait sans doute d’une mère. Car j’ai observé plusieurs fois des petits qui sont revenus sur les lieux.
30 septembre
J’entends continuellement des coups de feu autour de moi. Je n’ai pas envie d’être victime d’un accident de chasse. Je vais donc revenir vers la civilisation et téléphoner à Roque pour savoir s’il pourrait me prêter son moulin, perdu dans le maquis au-dessus d’Omessa. J’ai pris goût à la solitude et j’ai envie de passer l’hiver loin de tout. Et de tous.
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Photo Wikimedia – Pierre Bona
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