Comme un Robinson

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.

Comme un Robinson

Par Francine Delagneau 

Je m’agrippe à mon morceau de bois, ballotté par les flots glacés de l’Atlantique. Dans le brouillard, mon regard ne rencontre rien, rien que de l’eau. J’ai beau tourner ma tête de droite à gauche, en arrière, rien de rien. Pourtant, le cri des mouettes m’indique que la terre n’est pas loin. Mais, pas loin, c’est quoi exactement ? 

Maintenant, je perçois le ressac des vagues s’écrasant sur des rochers. L’espoir revient un peu, je tends l’oreille pour savoir d’où vient le fracas de la houle. Ma planche de salut tape régulièrement des cailloux. En tapotant, j’arrive enfin à toucher la pierre rugueuse de mes pieds et à trouver un sol de sable stable. Une plage. Je grelotte, mais je suis soulagé, je suis sur la terre ferme. Je tire avec beaucoup d’effort, mon morceau de bois qui est en fait le mât du bateau. Je découvre que c’est un morceau de la toile de la voile encore accroché qui alourdit mon fardeau. Lentement, je commence à avancer sur cette terre inconnue. Le brouillard se lève et j’aperçois des formes sombres. Des arbres, enfin plutôt une forêt dense de pins, de cormiers et autres sortes d’arbres. Je me fais un chemin, le bruit de mes pas résonne dans le silence, l’odeur de sapin titille mes narines. De temps en temps, le bruissement rapide me signale la course d’un animal sauvage et me fait sursauter. Sont-ils gros, petits, agressifs ou peureux ? Quelles sortes d’animaux peuvent vivre ici ? Peu à peu, l’angoisse me serre la gorge. Les traits du soleil passent entre les branches et lui donnent une impression de forêt sans fin.

Le chant du pinson me réveille. Les rayons solaires tapent sur mon abri. Construit avec le morceau de la voile, des branches feuillues et des fougères, il me protège du froid et des animaux pendant mon sommeil. Un épais matelas de feuilles sur le sol limite l’humidité. Dans un coin, j’ai aménagé une réserve d’aliments glanés lors de mes explorations. Des œufs de pingouins et autres oiseaux que je gobe crus, des baies diverses au goût pas toujours agréables et des algues sont devenus mes repas. Dans un morceau d’arbre creux, de l’eau potable que je vais chercher régulièrement à la source qui n’est pas trop loin et qui me permet de me laver.

Je parcours tous les jours une nouvelle partie de terrain avec l’espoir de découvrir une route, un chemin, enfin un signe de civilisation. Mais depuis mon arrivée sur cette terre, rien ne me dit si je suis sur une île ou sur un continent. Alors, j’ai pris la décision que demain, j’escaladerai cette montagne de granit. Je prépare des provisions et de l’eau dans un sac improvisé. Je récupère des feuilles pour me protéger les pieds avec de la toile.

L’ascension est dure et longue, mes pieds malgré mes protections se blessent, le soleil chauffe mon dos et mes muscles commencent à se raidir. Après plusieurs heures d’escalade, le sommet. Debout, je regarde devant moi et mes yeux ne voient qu’un paysage vert, encore une forêt sous le soleil. Je cherche plus loin, vers l’horizon, et je distingue comme une plaine, et peut-être des maisons. Mon regard ne se trompe pas, c’est bien un village. Pendant ces quelques jours de Robinson, j’étais en réalité si près de la civilisation.

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