L’Intrépide

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.

L’Intrépide

Par Jean-François Games

Sept heures trente, ce matin du 18 septembre, le soleil est déjà haut. En dépit d’un ciel chargé, je sens les fortes chaleurs caractéristiques de ces latitudes où l’humidité de l’air augmente la sensation de moiteur. C’est le manque de vent qui m’a réveillé aujourd’hui. Le flap flap des voiles et le roulis du bateau, indécis quant à la position, m’ont sorti de ma couchette.

Je me suis précipité sur le pont craignant la déchirure d’une toile mais, il convenait juste d’étarquer la grand voile, de régler le foc et mon bateau glissa très lentement sur l’eau. Les conditions atmosphériques de l’instant sont peu propices à la navigation. J’entends tout juste l’eau caresser la coque. Les poissons volants en profitent pour se déplacer. J’apprécierais que quelques-uns retombent sur le pont, j’aurais de quoi déjeuner quelque chose de frais. 

Autour de moi, la mer, immense et bleue sombre, est plate. Pas une écume à l’horizon mais, avec ce ciel chargé, qu’est-ce que la cela peut m’annoncer ? A priori cette zone est plutôt pauvre en grands crétacés. Je pense être tranquille de ce côté. Pour autant, je ne peux baisser la garde dans un milieu par essence étranger et hostile. Avant-hier, dans l’après-midi, les dauphins m’ont accompagné pendant une vingtaine de minutes. Ils étaient magnifiques avec leur cri strident et leurs sauts, tout près du bateau. Ils ont disparu en même temps que la dernière terre devenait invisible derrière mon Intrépide, ce voilier que j’ai acquis à Nassau après ma démission de ce boulot dont j’avais fait le tour.

Aujourd’hui, 21 septembre, le ciel, toujours gris, est chargé de cumulus. Le vent s’est levé, l’Intrépide tape un peu plus fort et j’ai réduit la toile. Ce matin, à la radio grésillante, j’ai pu saisir quelques éléments de la météo qui annonçait une tempête tropicale, fréquente à cette période, sur l’Atlantique à cette latitude de 16° nord.

Une semaine que la radio ne fonctionne plus. Heureusement, avec le GPS je sais exactement où je suis et en cas de pépin, je peux faire le point avec mon sextant. Je vais m’entraîner à l’utiliser et me diriger vers Paramaribo pour me réapprovisionner et réparer la radio.

Cette première expérience solitaire m’a conforté dans ma décision de naviguer vers Tananarive, de traverser cet océan pour en rejoindre un autre, la Grande Île. Cette semaine j’ai vaincu la tempête, plus forte qu’annoncée. L’Intrépide a résisté à la force du vent et à la violence des vagues qui déferlaient et la formation accélérée que j’ai suivie a montré toute sa pertinence. 

Aujourd’hui, par force trois, les voiles sont déployées. La mer frise un peu mais je n’entends que le bruit du vent qui s’écoule entre le foc et la grand-voile. Le pilote automatique me permet de profiter de cet environnement magique, de ce grand calme et de cette solitude que j’ai choisie. 

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