Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.
Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.
Le cri du hibou
Par Carmen Ferchault
Le responsable de l’association Takh avait été très clair. Une fois, ma voiture garée sur le parking de l’église, du village d’Hures-la-Parade, je devais emprunter le sentier de randonnée indiqué sur la carte qu’il m’avait remise.
Très vite, je me retrouvais au cœur d’une forêt de chênes, dense, presque noire alors que le soleil était à son zénith. J’avais beau être sportif, l’ascension était rude. L’étroit chemin creux, serpentait à n’en plus finir, je n’en voyais pas le bout. Je n’avais emporté avec moi que le strict minimum, pourtant, le sac à dos pesait une tonne et les sangles me brûlaient les épaules.
Deux heures de marche intense furent nécessaires avant de parvenir sur l’impressionnant plateau désertique. Rien ne ressemblait à ce que connaissais. Moi qui cherchais du dépaysement, de l’isolement, du nouveau, je n’étais pas déçu. Un vent chaud soufflait fort et s’emmêlait dans mes cheveux déjà en bataille. Immobile, je prenais le temps de bien tout observer autour de moi. J’avais tout lu sur les causses mais maintenant, j’avais le sentiment de ne plus rien savoir devant cette immensité offerte à mes yeux ébahis.
Les rares herbes se couchaient sous l’effet combiné de l’autan et de la chaleur accablante de ce mois d’août. Dans l’azur, tournoyaient des géants ailés. Les vautours fauves étaient les maîtres du ciel. Sans un bruit, sans un battement d’ailes, je les voyais planer sans jamais se frôler. Je ne pouvais détacher mon regard de ces magnifiques rapaces de retour chez eux. Au loin, je pouvais entendre tinter les clochettes d’un troupeau de brebis Lacaune blanches, capables de se satisfaire de la maigre végétation environnante.
Seul dans ces lieux, je voyais uniquement des traces de vie animale. Crottes de lapin, empreintes de renard ou encore de fouine. Se pouvait-il qu’ils soient tout près de moi, à m’observer en silence, alors que j’étais incapable de les remarquer ? Mon esprit de citadin se perdait sur cette terre sèche, parsemée de cailloux. Seule déception, je n’avais toujours pas pu apercevoir, ceux que j’étais venu découvrir. Les chevaux de Przewalki, dont les grands causses offraient refuge et sécurité, avant leur réintroduction dans les steppes mongoles. Ils seraient ma nouvelle raison de vivre.
Reposé, j’avais repris ma déambulation pour rejoindre le buron où j’allais, au début, devoir séjourner. Si je me sentais en sécurité dans cette nature préservée de la main de l’homme, ma seule crainte était de m’égarer, de ne pas trouver la bonne route à suivre.
A la nuit tombée, j’arrivais devant une masure de pierres, au toit de lauze, à la porte de bois vermoulue et qui ne fermait rien. En voyant l’état misérable du logement, je songeais, dans un premier temps, à dormir à la belle étoile. Mais, le cri lugubre du hibou me fit très vite changer d’avis. Dans une vieille armoire bancale, je rangeais mon maigre paquetage et les quelques provisions que j’avais emporté avec moi. Tout était spartiate, minimaliste et j’allais devoir m’en satisfaire. La nuit fut courte, peuplée de rêves curieux, et surtout bruyante. Mille et un bruits me faisaient sursauter sur mon grabat, et je me demandais bien ce qui m’était passé par la tête pour partir dans cet endroit où l’humain n’avait visiblement pas sa place.
Un mois après mon arrivée, j’avais fini par trouver mes marques. Désormais, je me sentais faire partie du paysage. J’avais quitté le confort sommaire du buron, pour une cabane mieux équipée. L’approvisionnement en eau était assuré par une pompe installée à proximité et je pouvais bénéficier de quelques heures de courant grâce à un groupe électrogène. Enfin, la nourriture et les médicaments seraient acheminés jusqu’à moi, tous les deux mois. Rien ne me manquait et j’avais le sentiment d’être au bon endroit.
Le job, consistant à l’observation et à la protection du troupeau de chevaux sauvages, m’apportait la sérénité que jamais je n’avais pu trouver auparavant. Je me sentais si proche d’eux que j’en venais à penser, à réagir, à me comporter comme un cheval.
Chaque soir, je faisais à la radio le rapport de mes activités du jour et je n’éprouvais pas le besoin de prolonger les échanges avec les autres. Le ciel, la terre, les éléments me satisfaisant pleinement, j’envisageais très sérieusement à ne plus retrouver la civilisation. Le cri du hibou ne me réveillait plus, les pas furtifs du renard, je les entendais de loin. A mon tour, j’étais devenu sauvage.
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