Mon âne

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.

Mon âne 

Par Nathalie Picrel

Je suis marié depuis deux ans, mais aujourd’hui avec ma femme nous avons eu une dispute. Pour me calmer, j’ai décidé d’aller bivouaquer à une heure et demie de Pau. J’ai pris la voiture en direction de Saint-Pharge-sur-Mont à 1 600 mètres d’altitude. J’ai déployé ma tente Quechua juste avant que l’orage ne s’abatte. À vingt-et-une heures, la nuit a fait son apparition. Le vent et la pluie se déchaînent. Je ne suis pas très rassuré d’autant que la rivière est proche de la tente. 

Après une bonne demi-heure, les intempéries se calment enfin ; seul persiste un léger tintement de pluie. Sous la tente, tous les bruits sont décuplés. Sous le duvet les yeux dans le noir, mon ouïe est plus sensible. Tout à coup, des craquements autour de la tente se font entendre. Est-ce un animal ou tout simplement des branches qui se sont détachées d’un arbre après l’orage ? Je sais que, dans les Pyrénées, des ours et des loups sont réintroduits. Il ne manquerait plus que cela. En plus, j’ai laissé de la nourriture entre la toile et l’habitat. Si c’est un ours, cela risque de l’attirer. Je retiens mon souffle. Un autre craquement plus intense jaillit, suivi d’autres. Ils entourent ma tente. Je ne trouve plus ma lampe torche. Mon rythme cardiaque s’accélère ainsi que ma respiration. La sueur coule sur mes tempes. Soudain, la toile de tente se cabre du côté gauche. J’ai la peur au ventre. Hormis mon canif, je n’ai pas d’arme. Si, j’ai aussi le maillet qui m’a permis de planter les sardines de la tente. C’est-à-dire rien qui ne pourrait faire face à un ours ou un loup. Maintenant, la sueur coule le long de mon dos. Faire redescendre la pression est nécessaire. J’essaie de respirer plus calmement. Un long silence s’est installé. Il devient pesant. Peut-être qu’un loup s’est tapi devant l’entrée de la tente et qu’il m’attend surtout qu’une envie pressante me vient. J’écoute attentivement. Rien, seule ma respiration et mon cœur qui courent la chamade résonnent dans mes tempes. Enfin, je trouve la lampe torche. Je l’allume et j’essaie de deviner si des ombres apparaissent au dehors mais seule mon ombre se reflète sur la toile de tente. Une odeur d’humus monte après la pluie. Hou ! Hou ! Je sursaute. En reprenant mes esprits, je m’aperçois que ce n’est qu’une simple chouette. Cette envie pressante me met encore plus sur mes gardes. 

Enfin, je m’autorise à sortir. Je pose le pied droit sur une branche qui roule sous mes baskets et, là, je me retrouve le visage dans l’herbe. L’odeur qui s’en dégage est mi-terreuse, mi-animale. L’ours ou le loup est-il à mes côtés ? Je relève la tête et je sens une langue humide qui me lèche les pommettes. Un coup de tête me projette sur le flanc gauche. Les naseaux humides de l’animal me respirent. Je ne sais pas quelle position adopter. J’ai très peur d’être dévoré. 

Hi-han ! Hi-han! Toutes ces peurs pour un simple baudet. Après une nuit des plus affreuses, le soleil est doux par cette matinée ensoleillée. La couleur des sapins, vert intense, me donne du baume au cœur. Je décide de partir à la rivière avec ma canne à pêche. Je m’installe sur un rocher surplombant le cours d’eau. Je prends une grande respiration, l’air est encore frais et cela me donne de l’énergie. L’âne qui m’a fait tant de frayeur la nuit dernière m’a accompagné. Il se désaltère non loin de moi. Pas d’ours, ni loup, mes vieux démons se sont estompés. Je me ressource. Je lance l’hameçon le plus loin possible. Agenouillé sur mon rocher, je contemple le débit de l’eau qui descend du Pic du Canigou. J’observe les libellules qui virevoltent. Un aigle pousse un cri dans le ciel. Il est majestueux. Le temps s’ égrène. J’aime cette lenteur. Une légère brise soulève ma frange. Le soleil est au zénith. La chaleur de ce début d’été perce. Je sors de ma songerie. Des truites arc-en-ciel sautent autour de ma canne à pêche mais aucune ne mord. En relevant celle-ci, je m’aperçois qu’il n’y a pas d’appât. 

Ma femme, Camille, a raison, je suis vraiment lunaire. D’ailleurs, c’était le sujet de notre dispute. Calmé par ce bivouac, je suis prêt à reprendre la direction de Pau pour retrouver ma bien-aimée. Je dis au revoir à mon compagnon de fortune. Sa réponse est simple : Hi-han !

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑