Têtue et bornée

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Le premier atelier, conçu et animé par Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a placé le paysage, la nature sauvage au cœur de l’intrigue. L’écriture s’est construite en deux temps : imaginer un personnage en survie dans une nature hostile. Ensuite, imaginer le même personnage vivant en harmonie avec la nature après l’avoir apprivoisée.

Têtue et bornée

Par Adélaïde Cuadrado

Viviane pesta. Elle s’était encore pris les pieds dans une racine. Ses gestes habituellement si agiles devenaient lourdauds. Dix heures qu’elle était dans cette jungle. Elle décida de faire une pause et s’assit sur le réseau de racines géant, le dos posé sur un tronc moussu d’un arbre tout aussi géant.  Elle posa sa tête entre les lianes et les orchidées qui pendaient et laissa la pluie dégouliner le long de ses cheveux.

Il s’était mis à pleuvoir une heure après qu’elle ait commencé à marcher. Elle était trempée depuis des heures, mais malgré cela, elle transpirait à grosses gouttes. La chaleur humide, étouffante, ne lui laissait aucun répit.

Elle baissa la tête pour étirer sa nuque tendue sous la pression qui s’accumulait. La nuit approchait, elle était perdue et ses jambes peinaient à trouver un chemin praticable parmi le bourbier qui l’entourait. Elle observa les alentours : des amas de fougères, des lianes, des plantes à feuilles immenses, comme des monstres. Tout était vert vif. Même les iguanes, les grenouilles, et les oiseaux. Sa vue pourtant excellente ne savait plus où regarder pour trouver un passage. Peut-être qu’elle pouvait escalader les arbres ?

Elle connaissait pourtant la forêt. Elle y passait sa vie. Mais la forêt tempérée : les pins, les hêtres, les charmes, les ronces, les marrons, les tapis de feuilles mortes. Les odeurs aussi. Ici, elle ne reconnaissait aucune odeur. Et tout sentait tellement fort, même sous le déluge. 

Elle s’ébroua. Elle n’aurait jamais dû accepter ce pari. C’était plus fort qu’elle, lorsqu’elle était mise au défi, elle ne savait pas dire non. Alors quand la meute Costa avait dit qu’elle n’arriverait jamais à se repérer seule dans la jungle, elle avait crié haut et fort qu’elle en était largement capable. Butée et têtue, aurait dit sa mère. Alors elle était partie à l’aube avec un rendez-vous pour midi au volcan. Interdiction de se transformer. Confiante, elle avait suivi la direction sud se fiant aux quelques rayons du soleil qui traversaient la canopée. Puis le ciel s’était couvert , la pluie avait inondé toutes les traces, et elle avait perdu tous ses repères. La mousse était partout, les traces de pas inexistantes, tout comme les sentiers qu’elle n’avait bien sûr pas suivi au début, préférant couper à travers le bois. Son estomac gronda. Le petit iguane vert devant elle était-il comestible ?

Elle prit une inspiration lourde. Il était temps de mettre sa fierté de côté. Le temps que la meute Costa la retrouve, il fallait qu’elle survive. Elle devait manger, boire et trouver un refuge. Tant pis pour le défi, elle allait devoir se transformer.

Viv commença par réunir de grandes feuilles, manière de recueillir de l’eau et se désaltéra. Elle débarrassa ensuite de son débardeur et de son short trempé et laissa la louve s’emparer d’elle. Le paysage sombre se para de reliefs plus nets et les odeurs s’affinèrent … et la firent éternuer. Elle sentait les fleurs, distinguait les différents animaux et se mit à suivre un fumet alléchant. Ça ressemblait à un chat, le museau plus long, la fourrure tachetée de blanc. Il tenta de s’enfuir, mais en quelques bonds vifs elle fut sur lui.

Une fois son repas fini, la louve reprit sa route. Il lui fallait trouver un abri. Ses pattes agiles utilisaient les racines comme tremplin et les lianes qui lui fouettait le visage avant, caressait maintenant son dos. Cette jungle était faite pour être parcourue à quatre pattes et non à deux.

Un sifflement capta son attention, et elle regarde de loin le serpent s’enrouler autour d’un tronc. Les cris stridents se répondaient. Alors que le soleil se cachait, la forêt se réveillait. La pluie, pourtant toujours aussi forte, laissait s’exprimer la vie sauvage. Viv continua à avancer jusqu’à trouver une odeur intéressante. Une odeur de félin. Elle suivit sa piste jusqu’à un petit bassin alimenté par une cascade. Etl’enfin, elle le repéra. Un jaguar. Il paraissait sur une immense branche à l’horizontale, de l’autre côté du point d’eau.

Là, elle serait à l’abri. Elle trouva sa propre branche, y grimpa et s’affala dessus. L’heure de la sieste était venue. Les yeux du jaguar ne la quittaient pas. Il la surveillait puis constatant qu’elle ne bougeait plus, bailla et retourna sommeiller sur sa branche.

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