Pour ce nouveau rendez-vous « Ateliers Découverte » de la saison d’écriture 2024-2025, Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a invité Alexandre, Charlotte, Dominique, Michel et Nicole à une parenthèse d’écriture créative autour du sujet : « L’attente ».
L’attente, c’est l’espoir. C’est là où la vie bascule. Une déclaration d’amour, un diagnostic, une sentence ou les vacances …. Source de joie, de peine. Mais aussi source d’angoisse, de douleur.
À suivre le récit de Dominique ! Bonne lecture !
Histoire capillo-tractée
Longtemps son père avait refusé qu’on coupe les cheveux de Nathalie, ne serait-ce que de quelques centimètres. Elle avait donc, non une chevelure libre et mouvante, mais un casque de cheveux tirés sur la tête, tressés en une longue natte bien serrée qui s’étirait jusqu’aux fesses, et cela de jour comme de nuit. Cela évitait ainsi à sa mère de longues et fastidieuses séances de démêlage que, de toute façon, Nathalie détestait.
A 18 ans, elle fit la connaissance de Claudine, une collègue de travail. C’était une femme mûre, célibataire vivant encore chez ses parents et sortant tous les samedis soirs au « Canari », le dancing de la ville. Quand elle lui avait parlé de sa coiffeuse, une vraie pro, la seule qui arrivait à donner de l’allure à ses cheveux fins et clairsemés, Nathalie s’était lancée.
A l’heure du rendez-vous, elle était entrée un peu hésitante dans le salon de coiffure, presque sur la pointe des pieds. Comprenez bien, Nathalie n’était encore jamais allée chez le coiffeur ! Un monde inconnu et un peu terrifiant de femmes averties s’ouvrait à elle. Elle ignorait – cela lui semble risible aujourd’hui – comment se déroulait une séance : quelles étaient les étapes, que devait-on dire, faire, comment se comporter ? Bref, Nathalie se sentait gauche et avait l’impression de ne pas être à sa place.
La coiffeuse, la quarantaine blonde, stylée, coupe au carré, la fit asseoir avec autorité devant un miroir. Nathalie attendit sagement à sa place. Les minutes s’égrenaient. Mais au fait, devait-elle faire quelque chose de particulier à ce stade ? Et quoi ? Cette attente faisait grandir son incertitude. Gênée, elle observait les autres personnes à la dérobée et se persuadait que tous les regards étaient fixés sur elle.
La coiffeuse la tira de ses affres et l’installa au bac de lavage, serviette autour du cou. On allait enfin s’occuper d’elle, pensa Nathalie. Mais le temps s’écoula à nouveau. Pour s’occuper, elle détailla le plafond, des dalles en polystyrène. « Combien y en a-t-il, tiens je vais les compter » se dit-elle. « Nombre de dalles en largeur, nombre de dalles en longueur, 12 x 20, 240 dalles. Bon ». Elle enchaîna sur l’éclairage (trois rangées de quatre spots). Elle en était arrivée à compter les carreaux au mur lorsque la coiffeuse vint lui laver les cheveux. « Ah, un peu d’action » pensa Nathalie.
Las… Installée ensuite sur un troisième siège, elle eut tout le loisir de contempler ses cheveux mouillés car la coiffeuse était repartie vers d’autres tâches. Elle consulta sa montre : trois quarts d’heure s’étaient écoulés et elle avait juste les cheveux propres. Une pointe d’incompréhension et de découragement saisirent Nathalie. Mais elle ne dit rien, car après tout, c’était peut-être le déroulé normal d’une séance chez le coiffeur ? Elle se prit à observer la tête des autres clientes.
L’une était hérissée de papillotes métalliques. L’autre, le haut du crâne comprimé dans un film plastifié, semblait congestionnée ; Nathalie sourit en pensant qu’elle allait sûrement exploser d’une minute à l’autre. Le cuir chevelu d’une troisième était englué dans une épaisse pâte verte peu ragoûtante ; elle feuilletait négligemment une revue en attendant que la réaction chimique s’opère. La tête d’une quatrième cliente, cerclée de bigoudis, émergeait à peine d’un casque de séchage qui avait tout d’un réacteur d’avion. Bientôt le décollage. Un petit rire échappa à Nathalie.
Tout à coup, la coiffeuse resurgit derrière elle et lui coupa les cheveux. Quel type de coupe Nathalie avait-elle demandé, avait-elle même eu son mot à dire ? Elle ne se souvenait pas, le trou noir. Et une nouvelle fois le temps s’étira sans que plus rien ne se passe. Pourtant il semblait bien y avoir de l’activité dans le salon mais seul un brouhaha confus lui parvenait au milieu des vapeurs de laque. De vagues silhouettes allaient et venaient, un ballet s’orchestrait. Envahie d’une légère torpeur, coupant un à un les fils avec la réalité comme une montgolfière s’échappe lentement du sol, Nathalie décrocha…
Elle vit soudain la tête aux papillotes s’agiter furieusement dans un cliquetis métallique ininterrompu : la tête plastifiée se déformait en une énorme courge butternut d’un rouge vermillon ! De terreur, la pâte verte gluante éclata alors en tentacules collantes qui s’accrochèrent aux murs tandis que la tête sous le réacteur d’avion fusa en spirale, larguant ses bigoudis tous azimuts. La coiffeuse, tétanisée, était plaquée contre un mur, son carré impeccable maintenant dressé à la verticale. Panique au salon, les créatures du Cinquième élément* avaient débarqué !!!
Se représentant la scène, Nathalie faillit éclater de rire. Revenue sur terre, enfin… les fesses sur son siège, elle reprit doucement pied avec la réalité. Cette échappée l’avait un peu détendue. Mais elle était toujours esseulée devant le miroir. Quand adviendrait donc l’étape finale de ce processus interminable ?! Au bout d’un moment Nathalie commença à avoir la bougeotte et à s’énerver intérieurement. Elle s’agita sur son siège lorsqu’une réponse évidente lui vint à l’esprit : la coiffeuse l’avait délaissée tout simplement parce qu’elle avait terminé son travail, elle attendait que Nathalie s’en aille !
Sentant confusément que ce n’était peut-être pas ce qu’il fallait faire pour respecter les conventions en la matière, mais tout à coup saisie de l’impérieuse nécessité d’agir pour échapper à un malaise qui n’avait que trop duré, Nathalie se leva brusquement, paya et sortit d’un pas décidé du salon les cheveux encore mouillés, sous les yeux ronds de la coiffeuse, interloquée.
La collègue de Nathalie ne lui a jamais demandé comment s’était passée sa séance chez le coiffeur… Et Nathalie s’est bien gardée d’aborder le sujet !
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* Le Cinquième Élément est un film de science-fiction, coécrit et réalisé par Luc Besson, sorti en 1997.
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