Nouvel atelier hors les murs pour nos écrivants ! Cette fois, A Mots croisés a investi un lieu méconnu, l’écomusée de Fresnes que nous remercions vivement pour son accueil.
Autrefois bergerie de la ferme de Cottinville d’une superficie de 214 m², la grande salle de l’écomusée accueillait l’exposition : « Ça roule ! Petites histoires de vélo en banlieue sud » qui brossait l’histoire, les usages, la pratique du vélo et du rapport intime que nous entretenons avec cet objet synonyme de loisirs, de liberté, d’effort, d’émancipation et d’avenir.
Après la visite guidée de l’exposition, Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a invité le groupe d’écrivants à imaginer une fiction où le vélo est au centre du récit. Petites contraintes d’écriture : utiliser l’un des incipits distribués en début d’atelier et terminer le récit par une question.
Le regard perçant et le vélo
Par Laurent Ribadeau-Dumas
Tout a commencé par un regard que je n’aurais jamais dû croiser…
Je venais d’acheter un nouveau vélo, un beau Delpierre rouge, blanc et bleu, que j’avais économisé sou par sou. Depuis, dès que j’avais un moment de libre, je sortais ma monture métallique et je partais fièrement me promener avec.
Un dimanche matin, j’avais décidé de sortir toute la journée. Sac au dos avec quelques provisions, je remontai le vélo de la cave. Et je m’élançai dans la rue sans prendre le temps d’attendre que le feu passe au vert. C’est là que j’ai croisé le regard perçant d’un homme hirsute, arrêté sur le trottoir.
J’étais tellement pressé de quitter la ville que je ne l’avais pas remarqué de prime abord. Mais ce regard semblait tellement sombre et inquisiteur qu’il finit par me pénétrer de part en part et je faillis tomber. Le cœur battant, je m’arrêtais au bord du trottoir pour reprendre mes esprits. Je me retournai. L’homme avait disparu. Mais son regard continuait à me suivre, comme s’il était attaché derrière moi. Ce regard, j’avais l’impression très vague de l’avoir déjà vu. Qu’il ressurgissait dans ma vie après des années d’absence. Comme si j’avais réussi à l’oublier jusque-là.
Un peu calmé, mais assez mal à l’aise, je repris le chemin de la campagne. Cependant, l’enthousiasme du petit matin à l’idée d’une randonnée ensoleillée avait quelque peu disparu. Ma vitesse s’en ressentait. J’empruntai la piste cyclable qui menait au bois de la Chaise. Soudain, un chien surgit devant moi. Je dus piler pour l’éviter. Décidément, je ne la sentais plus, cette randonnée. D’autant que des nuages commençaient à masquer le soleil. Mais bon, j’étais parti. Je ne voulais pas renoncer.
Fin de la piste cyclable débouchant sur une petite route peu fréquentée. Je sentis alors comme une mollesse du côté de mon pneu arrière. Une mollesse à coup sûr synonyme d’une crevaison : je venais, sans m’en apercevoir, de rouler sur du verre. Tout cela parce que je sentais ce regard perçant qui continuait à me poursuivre.
Le pneu crevé : la galère par excellence du cycliste. Je dus alors m’installer au bord de la route. Prendre dans leur sacoche mes quelques outils. Enlever la chaîne en me salissant les mains avec du cambouis. Sortir la roue. En extraire la chambre à air. Trouver le trou. Coller une rustine. Puis remonter le tout. Bref, la galère. Et tout ce que je détestais…
J’avais à peine fini qu’il se mit à pleuvoir. Le pompon, quoi ! Surtout que je n’avais pas pris de vêtement de pluie. J’avais tellement cru qu’il ferait beau toute la journée. La météo me l’avait d’ailleurs confirmé…
Contrairement à mon habitude, moi, le cycliste jusqu’au-boutiste, je décidai alors de rentrer, obsédé par ce regard perçant dans mon dos. Et puis, la pluie a redoublé et s’est mise à tomber avec une grande violence, me trempant jusqu’aux os. Des éclairs et le tonnerre se sont mis de la partie. La totale ! Heureusement, je pus trouver refuge sous un abribus.
Et là, devant moi, se tenait l’homme au regard perçant. Malgré la tempête, je voulus m’enfuir. Il me retint par la lanière de mon casque. « Je me rappelle de toi ! », me dit-il d’une voix sépulcrale. « C’est toi qui m’avais volé mon beau vélo, cadeau d’anniversaire de mes grands-parents quand nous étions tous les deux à l’école communale, dans la classe de Monsieur Bleau. Je ne l’ai jamais oublié. Tu m’avais brisé le cœur. Et toi, tu ne te souviens vraiment de rien ? »
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