Nouvel atelier hors les murs pour nos écrivants ! Cette fois, A Mots croisés a investi un lieu méconnu, l’écomusée de Fresnes que nous remercions vivement pour son accueil.
Autrefois bergerie de la ferme de Cottinville d’une superficie de 214 m², la grande salle de l’écomusée accueillait l’exposition : « Ça roule ! Petites histoires de vélo en banlieue sud » qui brossait l’histoire, les usages, la pratique du vélo et du rapport intime que nous entretenons avec cet objet synonyme de loisirs, de liberté, d’effort, d’émancipation et d’avenir.
Après la visite guidée de l’exposition, Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a invité le groupe d’écrivants à imaginer une fiction où le vélo est au centre du récit. Petites contraintes d’écriture : utiliser l’un des incipits distribués en début d’atelier et terminer le récit par une question.
Eau de boudin
Par Dominique Blanchard
Descendant de ma bécane, et jusqu’à tard dans la soirée, j’ai ressenti ces traces cuisantes que rien ne laissait pourtant présager au petit matin.
Imaginez… Le début des années 1970, les vacances d’été, un petit village au fin fond de la campagne française, la maison de l’ancien maire dans la Grande Rue, l’imposant portail en fer forgé qui laissait solennellement sortir l’Ami 6 blanche de mon grand-oncle, et tous ses petits-enfants métis qui dévalaient les escaliers et couraient dans la vaste cour dallée. Métis ? Eh oui, la fille du gendarme avait convolé avec un Antillais officier de marine…
Ce jour-là, un air de liberté et d’aventure flottait autour des hortensias et des gueules de loup dans la cour : les cousins avaient sorti les vieux biclous de la grange. Une balade en vélo ? J’en étais bien sûr !
Enfourchant une des vieilles carcasses, je filais dans la roue des cousins, traversant le village, coupant par un chemin à travers champs, direction la vallée du Serein. Il fallait appuyer dur sur les pédales – pas de dérailleur sur ces vieilles bicyclettes-, et je n’avais pas les mollets affutés pour le cyclisme ! Mais je me démenais vaillamment pour garder ma place dans le groupe.
L’air embaumait les foins, je le respirais à grandes goulées et m’emplissais de sa plénitude ; je goûtais en riant les tourbillons du vent dans mes cheveux et ses chaudes caresses sur mes bras et mes jambes ; les rires et les cris tintaient à mes oreilles.Je me laissais allée à ce pur moment de joie et de sensations, tendue vers l’intensité de ce plein instant, consciente peut-être de sa rareté.
Nous fendions la brise comme l’étrave d’un bateau les flots, dans le cliquetis des chaînes et le grincement des freins en manque d’huile. Les papillons blancs, bousculés, roulaient en tonneaux sur notre passage, les butineurs des bas-côtés étaient éjectés de leur fleur. Une équipée vrombissante fendait fugitivement le calme de la campagne.
En danseuse pour venir à bout d’une côte, puis debout sur les pédales pour entamer une belle descente, tenant le guidon du bout des doigts, je laissais le vent s’engouffrer dans ma jupe. Quelle descente, quelle vitesse, quelle griserie !!! Survint un virage, là, à trois mètres. Pas une courbe, un virage. Un virage du genre épingle à cheveux. J’avisais le champ d’orties qui me faisait face, déployant ses larges feuilles presque frémissantes pour mieux m’accueillir. Il fallait réagir vite. Avais-je fait le bon choix ?
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