Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.
Après un premier atelier, où le paysage était placé au centre du récit (lire les posts publiés), Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a invité les écrivants à construire un récit « miroir » où l’homme regarderait un arbre, puis où l’arbre regarderait l’homme.
L’enfant mimosa
Par Francine Delagneau
Je tourne, je vire dans le magasin de végétaux pour passer le temps de cette journée pluvieuse. Soudain, je m’arrête devant un malheureux arbrisseau dans son pot, relégué dans un coin de la boutique. Il me fait pitié avec son tronc tout fin et ses quelques branches sans feuille, une vraie désolation. Je me penche pour l’examiner de plus près, sur une étiquette délavée, j’arrive à lire « Mimosa d’hiver ». Je me redresse avec un petit sourire, depuis quelque temps que j’en cherche un. Il est là, devant moi et même s’il a une mauvaise tête, c’est décidé, je l’adopte. L’achat d’un grand pot et de terreau est nécessaire pour mon nouveau protégé. Je rentre à la maison, j’ai de quoi m’occuper le reste de l’après-midi. Après mon travail de rempotage, tes racines menues sont enrobées dans de la nouvelle terre. Je t’installe sur mon balcon, avec mon camélia, ma sauge et mon romarin. Tu es paré d’un magnifique pot en céramique bleu nuit irisé. Maintenant, je dois apprendre la patience. Ta première année, tu n’as fait que des branches et un feuillage vert. La seconde, j’ai vu apparaître quelques boutons jaunes qui m’annonçaient l’arrivée du printemps et qui ont fêté l’arrivée de mon fils. Toi, le symbole de l’élégance, de l’amitié et de la tendresse, tu es l’image de la « Journée internationale des droits des femmes ». Depuis, tous les ans, mon balcon jaunit de ta floraison. Je viens avec Julien t’entretenir, te sentir, te caresser et t’admirer. C’est toujours un moment de bonheur que tu nous donnes. Mon fils aime te sentir, te toucher et te regarder. Tu nous apportes tant de bonheur que maintenant tu fais partie de la famille.
***
Petite graine, j’ai grandi dans une pépinière. Soigné, arrosé, nourri d’engrais et changé régulièrement de pot selon mes besoins, les mains des jardiniers ont pris soin de moi. Toujours dans une chaleur douce, j’ai eu une enfance heureuse, entourée de mes congénères. A mes trois ans, je fus séparé de mes sœurs, transporté et amené dans un magasin. J’étais entouré d’inconnus, je me suis senti paumé, seul et abandonné. Peu à peu, j’ai perdu mon feuillage, de mon élégance. On m’a délaissé dans un recoin et je me laissais mourir. Les mains de l’homme n’étaient plus attentives et prévenantes envers moi. Elles ne venaient que pour me donner un peu d’eau et couper mes bois morts. Je n’avais plus goût à la vie et n’espérais plus qu’une fin rapide. Dans le brouhaha d’une journée comme les autres, un visage s’est approché et je me suis envolé dans un caddy. Un peu plus tard, les mains ont enlevé la terre autour de mes frêles racines, elles m’ont mis dans du terreau, m’ont arrosé et m’ont planté dans un pot confortable. Elles m’ont mis dans un lieu à l’air libre, un endroit calme au milieu d’autres plantes rayonnantes. Bientôt, j’ai senti la sève monter le long de mon tronc, et de mes branches et mes feuilles vertes sont sorties. Doucement, j’ai repris de la vitalité. Maintenant, tous les jours, les mains viennent me rendre visite, elles me touchent délicatement, tâtent la terre pour vérifier mon besoin en eau. La deuxième année, avec mon feuillage quelques fleurs jaunes sont apparues. L’année suivante, j’égayais le balcon de mes boutons dorés. Ici je suis bien, à l’abri du vent d’hiver, le soleil me réchauffant au printemps, au petit soin de cet homme. Je me sens enfin comme chez moi, un peu en famille. Les mains sont accompagnées de petites menottes potelets. Un enfant me sourit, ses doigts tripotent mes fleurs, son nez vient me sentir et ses éclats de rire me rendent heureux. Mais combien de temps cela va durer, mes racines prennent de plus en plus de place dans mon pot. Que vont faire ses mains quand je prendrai trop de place sur le balcon. Est-ce que mes fleurs auront toujours autant d’attraits aux yeux de cet homme ? J’aimerais finir ma vie au milieu des miens, dans une forêt de mimosas.
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