Plus de palabres

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Après un premier atelier, où le paysage était placé au centre du récit (lire les posts publiés), Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, a invité les écrivants à construire un récit « miroir » où l’homme regarderait un arbre, puis où l’arbre regarderait l’homme.

Plus de palabres 

Par Nathalie Picrel

Je m’appelle Dramane et je vis au Sénégal loin de Dakar. À part les épineux qui entourent le village, nous sommes fiers de notre unique arbre. C’est un majestueux baobab. Les pains de singe sont bientôt mûrs et il ne faudrait pas en prendre un sur la tête car notre arbre mesure exactement trente-cinq mètres de haut. C’est Abdoulaye qui l’a mesuré en montant dessus. Notre baobab est situé au centre du village et il est sacré. Nous nous regroupons dessous pour nous rafraîchir, chanter, conter des histoires de nos ancêtres mais aussi lorsqu’un problème entre villageois surgit. On le surnomme arbre à palabres.

***

J’en ai vu passer des générations. Cela fait cinq cents ans que je suis dans la savane. Au début, j’étais frêle, le village n’existait pas, puis des hommes se sont installés. Leurs cases entourent mon tronc. J’en ai entendu des histoires, des secrets. J’ai vu beaucoup de cérémonies mais aujourd’hui le temps change. Avec les anciens comme Dramane et Abdoulaye, je n’ai pas de problème. Ils viennent toujours s’asseoir à mon pied pour palabrer sur la récolte de millet, sur les troupeaux de chèvres, sur les disputes, les réconciliations… Ils cueillent mes fruits pour en faire des décoctions.

Mais le problème, c’est les jeunes. Je n’entends plus leurs commentaires. Rien. Dès qu’ils arrivent à l’adolescence, plus rien. Ils sont là assis côte à côte sans le moindre échange. Zut ! Je n’y comprends rien ! Je suis pourtant réputé pour être l’arbre à palabres. Mais là, plus un son ne sort de leurs bouches. Ils se regardent à peine. Dans leur main, ce n’est plus un jeu d’awalé mais un étrange objet rectangulaire faisant de la lumière. Cet objet émet des sons, des musiques mais ce n’est plus de la musique comme Youssou N’Dour.  Je ne comprends pas ce manque de communication. Si cela continue mon surnom d’arbre à palabres va disparaître. Je suis déjà nostalgique.  

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