La trop belle endormie

Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.

Après « Le paysage, la nature sauvage » et  « L’arbre en miroir», Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, nous a invités à un atelier  « Autour de l’eau ». Le récit devait avoir du suspense. Il s’agissait de semer quelques indices tout au long du texte qui amèneraient le lecteur à la chute … surprenante, percutante, inattendue. 

À suivre le récit de Jean-François.

La trop belle endormie 

C’est extra, ça fait une semaine que je suis chez bonne maman pour les grandes vacances. Elle est toujours contente de me voir. Chaque fois elle me dit «  Ah, mon petit Manu, tu as encore grandi ». Elle habite une grande maison avec un grand terrain où on peut courir, ramasser des fruits comme on veut. Tous les ans, je viens ici et je retrouve les cousins et les cousines. Souvent, je pars avec eux toute une demi-journée à chercher des framboises sauvages ou à chasser les petits lézards. Des fois, on s’amuse à jouer à cache-cache dans l’herbe. Et puis, on se chamaille avec les cousines qui préfèrent rester près de grand-mère pour jouer à la marelle. On occupe alors la place pour jouer au foot et c’est souvent bonne maman qui finit par nous houspiller en nous criant « Allez-vous-en ! Partez ! Laissez jouer vos cousines. Vous pouvez aller dans la savane. » Quand il y a les plus grands, on va plus loin et on passe par exemple la journée à la montagne, à la mer, ou à la rivière en amenant le pique-nique. 

Cette année, ça va être chouette car on doit être au moins deux garçons à passer au collège plus des cousines aussi. Bonne maman et les tantes vont nous laisser aller plus loin seuls. On va pouvoir se promener à la montagne ou à la rivière. Dans certains coins, on trouve des grands bassins et on va souvent se baigner. On peut même plonger et nager un peu. L’eau est fraîche. Par endroit, elle est assez mouvementée, sans être dangereuse. 

Le bruit de la rivière ressemble à un chant et ça se mélange aux différents cui-cui d’oiseaux : « C’est très mélodique » dit ma plus grande cousine. D’ailleurs, elle répète souvent qu’on devrait arrêter de crier et se taire pour écouter la nature. Elle ajoute aussi « C’est très apaisant ». Elle nous demande alors de regarder l’eau s’écouler, tranquillement, entre les pierres. Alors on écoute un peu, mais ça dure pas, on a besoin de bouger et on aura toute la nuit pour rester tranquille !

La rivière est pleine d’écrevisses et on peut aussi attraper des poissons. D’ailleurs, il y a trois jours, un petit groupe de grands est revenu avec le sac plein de poissons. Alors, on a décidé d’aller à la pêche aux écrevisses ce matin. Pour attraper les écrevisses, on soulève les pierres pour voir si elles sont cachées là, ou quelquefois, on va dans les coins plus calmes, sous les racines près des berges ou sous les rochers pour en trouver. Là, l’eau dort et les écrevisses attendent, observent, guettent leurs proies. 

La pluie a commencé à tomber un peu avant qu’on arrive à la rivière, alors on a couru pour s’abriter. Quand l’averse s’est arrêtée, on est allé pêcher les écrevisses et déposé les nasses et puis on a entendu, un grondement. On ne connaissait pas, on se demandait qu’est-ce que ça pouvait être comme animal. Certains avaient peur et j’ai crié « Venez, venez ! » Alors Nathan, mon frère et mon cousin, Elias, ont couru me rejoindre sur la berge. Les deux petits frères d’Elias sont plus lents et peinaient à sortir de la rivière, mais le grondement s’est arrêté. Alors, on a été soulagés. 

Manu reprend sa respiration, regarde dans le mur un peu gris en face de lui dans cette pièce  éclairée d’une lumière blafarde. Il se tait.

− Et après, demande l’homme qui tente de lui parler avec douceur, que s’est-il passé ?

− Les deux petits-frères n’ont pas eu le temps de revenir qu’on a vu la rivière grossir brutalement et les emmener. On a couru comme on a pu. Plus loin, l’un des petits frères a réussi à s’accrocher à un tronc d’arbre. L’autre est parti plus loin, on a eu beaucoup de mal à le retrouver. 

Puis, il s’arrête de nouveau, cherche ses mots et l’homme reprend :

− Vous n’aviez pas vu les panneaux qui indiquaient un lâcher d’eau pour aujourd’hui ?

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