Cette année, À Mots croisés a choisi de consacrer un cycle d’écriture au « nature writing », littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature ». Ce genre littéraire trouve ses origines dans la conquête des territoires des Etats-Unis à la fin du 18ème siècle par les colons. Son fondateur serait le philosophe Henry David Thoreau dont l’œuvre emblématique « Walden ou La vie dans les bois » est ni roman, ni autobiographie, mais un éloge de la nature avec des questionnements d’ordre autobiographiques, philosophiques, sociétaux et politiques.
Après « Le paysage, la nature sauvage » et « L’arbre en miroir», Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, nous a invités à un atelier « Autour de l’eau ». Le récit devait avoir du suspense. Il s’agissait de semer quelques indices tout au long du texte qui amèneraient le lecteur à la chute … surprenante, percutante, inattendue.
À suivre le récit d’Amina.
Assoiffée
Jamais encore elle n’avait dû se pencher aussi bas pour aspirer cette eau tiède et calme dont le bruit lui était si familier. Chaque fois que sa langue tentait de laper le liquide d’un marron peu ragoûtant, elle se heurtait au vide angoissant de l’air, battait dans tous les sens à la recherche de la moindre gouttelette. Mais le néant se faisait toujours plus grand.
Son cou plein de tensions lui faisait ressentir le poids de l’absence, et les efforts démesurés pour bénéficier d’une hydratation lui coûtaient. Le filet d’eau se faisait de plus en plus mince. Elle n’était pas du genre anxieux, elle la nonchalante qui arpentait la savane en cueillant de sa bouche la nourriture toujours à sa portée. Mais cette fois-ci, la panique gagnait du terrain.
Où était donc passée cette rivière abondante à laquelle elle s’abreuvait tous les deux jours ? Et le chant des oiseaux qui faisaient comme elle une halte pour se désaltérer ? Pas la moindre trace non plus de l’éléphant et de l’antilope qu’elle croisait habituellement. Dans le calme apparent et odorant de la savane régnait un silence mortifère. Et l’eau, qui amenait autrefois la vie, se faisait soudain timide, discrète et fluette.
Il avait fait très chaud ces derniers jours, et cette chaleur torride avait sûrement eu raison de cette source de réconfort. C’est du moins ainsi qu’elle raisonnait et qu’elle essayait de dompter l’instinct de survie qui mettait ses sens en alerte. Dans un accès de découragement, elle releva enfin la tête. Et c’est alors qu’elle entendit des coups sourds et répétés, réguliers, qui résonnaient à quelques kilomètres de là. D’un pas lent mais décidé, elle remonta le cours de la rivière jusqu’à entendre l’eau se heurter, se fracasser contre le bois. C’était donc ça ! Ce mur de bois construit avec méthode et patience, qui était la source de tous ses maux ! Les hommes qui s’escrimaient depuis des jours à finir la construction de leur barrage n’en crurent pas leurs yeux ce matin-là. Jamais encore ils n’avaient vu une girafe d’aussi près ! Et eux qui la croyaient paisible la regardèrent, médusés, foncer sur eux avec cet air furieux de l’animal qui veut en découdre. Ils ne virent pas cette merveille de la nature détruire coûte que coûte leur ouvrage qui retenait prisonnier son précieux breuvage.
Lorsque l’eau impétueuse s’écoula d’un coup vers la région désertée par la vie, la girafe retrouva son air affable et reprit d’un pas tranquille son chemin vers les acacias, après avoir goulument puisé l’eau qu’il lui fallait pour tenir deux jours encore au cœur de cet univers aride.
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