Histoires d’objets

Pour le dernier atelier de la saison d’écriture 2024-2025, À Mots croisés est parti à la rencontre d’une association balnéolaise : Les Simones, que nous remercions vivement pour son accueil. Voir entretien avec Carol Rose, publié hier.

Dans ce pavillon des années 30, des objets… qu’il s’agissait de faire vivre dans un premier temps d’écriture. Saurez-vous les retrouver ?

🔹Ils m’ont caché. Je n’existe plus dans cette maison. On ne me voit plus derrière ce drap. J’avais pourtant une importance avant. Esthétique, j’étais la pièce maîtresse. On pouvait m’embellir, me décorer. Mais pratique aussi la moitié de l’année. Tout le monde venait se réfugier devant moi. Profiter de ma chaleur, de mes flammes. On profitait de moi dans toute la maison. Et maintenant ? Je ne suis plus qu’un tissu rouge auquel on s’adosse. Mon antre, mon cœur, mon âme est cachée.

📌 Avez-vous deviné l’objet choisi par Adélaïde ?

🔹J’adore ce temps d’attente, cette anticipation, ce moment avant qu’on me remarque. Après tout je suis relégué dans un coin de pièce, pas très visible, mais toujours prêt. Je les vois errer, flâner, leur regard passe sur moi, parfois s’arrête, parfois revient. Il continue le tour, mais certains, très clairement m’ont en tête, et n’attendent qu’une chose, le moment où ils pourront m’expérimenter. Les uns s’approchent timides, d’autres me revendiquent. Tous quand ils s’installent lâche un soupir. Mon assise les accueille, mes coussins colorés de fleurs les détendent. Ils s’affalent, laissent leur corps au repos. Je prend le relais pour les soutenir, les tenir, les bercer. Je vis pour ce moment d’abandon sur mon osier. J’aime le sentir utile, apprécié, et aider. Je pleure quand l’instant est passé et que mes coussins refroidissent. Je me repose alors moi aussi, mais j’attends surtout le prochain fessier.

📌 Avez-vous deviné l’objet choisi par Adélaïde ?

🔹Je vis dans un noir complet, parcouru de sporadiques éclaircies

Je chéris la poussière, la lourde atmosphère, les bruits assourdis

A l’abri des regards, je regorge de mille objets jusqu’à étouffer

Alors je ralentis mon souffle pour ne pas succomber

Sans ménagement, on me dépouille, on me remplit

Mon esthétique, qui s’en soucie ?

Il m’arrive d’être victime du printemps et de son grand rangement

Mais les beaux empilements ne durent qu’un temps…

📌 Avez-vous deviné l’objet choisi par Dominique ?

🔹Beaucoup de doigts me tripotent, salis de terre en revenant du jardin, mouillés quand les mains cherchent un torchon pour s’essuyer, grands pour les adultes, manucurés pour  maman et petits pour les enfants. Quand j’entends la voix sourde de papa dire « ne touche pas à l’électricité », le petit Marcel répète « éle-ité » dans un rire, et je suis heureux. Aujourd’hui, j’ai vieilli, ma céramique blanche a un peu jaunie, mais je suis toujours vaillant. Un coup en haut, un coup en bas et grâce à moi la lumière éclaire la cuisine pour la famille réunie autour de la table du repas.

📌 Avez-vous deviné l’objet choisi par Francine ?

🔹 Assez, j’en avais vraiment assez de cet hiver 1956 qui n’en finissait pas. Imaginez passer vos journées à être frappé par les souliers pleins de neige de Monsieur et Madame. Imaginez un instant être d’un coup d’un seul, noyé sous un seau d’eau glacé de Javel, puis raclé, récuré pour enlever le moindre petit caillou de l’allée du jardin. Je ne vous raconterai pas mes nuits tout aussi douloureuses avec la bise qui soufflait sous la porte. Vraiment, j’avais hâte d’en finir et de voir le printemps arriver.

📌 Avez-vous deviné l’objet choisi par Annie ?

🔹Ma vie est finie ! Je ne verrai plus Mademoiselle en nuisette de satin s’étirer au petit jour. Je ne la verrai plus me regarder les yeux dans les yeux, tracer minutieusement un trait noir juste au bord des cils de sa paupière droite, puis un autre bien symétrique sur sa paupière gauche. Je ne la verrai plus souligner ses lèvres généreuses de rouge écarlate. Je ne la verrai plus brosser ses longs cheveux roux avant de les tresser savamment. Je ne…

Mademoiselle est partie avec ses parents, un jour d’automne. Les déménageurs ont pris le gros du mobilier. Je suis resté là, pendu à la hotte de la cheminée. Aujourd’hui, je suis triste. Je me languis. Je suis bien seul entre les murs obscurs de la chambre du fond. J’ai froid, aussi. Je résiste, j’espère qu’elle reviendra me chercher, je voudrais tant lui crier :

«  Pauline, je t’aime ! Tu m’as oublié ! Pourquoi ? » 

📌Avez-vous deviné l’objet choisi par Annie ?

🔹Je suis un adepte de la non-violence. Je prône douceur, bienveillance, tolérance. Ce sont mes valeurs, des principes que j’applique au quotidien. Mais voilà, dans la vie je suis un heurtoir, un superbe heurtoir en fer forgé sorti d’une des plus prestigieuses manufacture de France. J’ai une belle réputation et je sais tenir mon rang.

Tous les visiteurs de la maison me trouvent superbe et j’aime ça. Mais cela ne me préserve pas de leur excessive brutalité. Soulevé sans ménagement aucun, je suis projeté sur le bois de  la porte, qui elle aussi souffre dans ses veines et dans son bois. Pourquoi donc, les gens prennent-ils un malin plaisir à m’estourbir de la sorte? Se rendent-ils compte de la fureur qu’ils mettent à me frapper.

Il n’y a guère que le soir venu, que je peux enfin me reposer et me remettre de tous ces bleus que l’on m’inflige à longueur de temps. Pour tout le monde, je ne suis qu’un objet inanimé, incapable de ressentir la moindre douleur, le moindre chagrin.

Alors, je prie le saint patron des forges pour que le propriétaire de la maison installe une sonnette électrique, alors je pourrais enfin goûter une retraite bien méritée ! 

Objet choisi par Carmen

🔹Quand il était petit, elle traînait dans l’entrée des Simones, comme on appelait la maison des vacances familiales. Elle l’avait toujours attirée. Même si elle ne fonctionnait pas bien. Avec son cousin, il aimait la taquiner, la pauvre. Lui ouvrir sa porte haute et étroite. Jouer avec ses poids, les retirer. Un jour, il en avait même fait tomber un par terre, à quelques centimètres de ses pieds. Les deux bambins avaient été fascinés d’entendre leur grand-mère raconter que les Allemands avaient volé le mécanisme d’horlogerie pendant la guerre et qu’elle l’avait fait changer à la Libération. 

Le temps avait passé. Il était devenu adulte, comme l’on dit. La maison avait perdu de sa magie. Mais pas de son aura. Elle restait là, immuable. Immuable aussi, la pendule qu’il regardait toujours avec intérêt. Il voyait que c’était un bel objet dont il gardait toujours une image dans un coin de sa mémoire. 

Quand il s’était marié, sa grand-mère lui avait demandé ce qu’il voulait comme cadeau. Spontanément, il avait répondu : « L’horloge ». Il avait alors fait des recherches. Il avait appris que c’était une horloge dite « comtoise », datant de la fin du XVIIIe, originaire de Normandie, de style dit « Louis XVI rural ». Un objet teinté au sang de bœuf, comme on le faisait à l’époque. Il l’avait faite réparer avec soin. Il l’avait poncée, enduit de produit anti-parasite. Et il l’avait mis dans son nouvel appartement où elle égrène toujours les heures et le temps qui passe.

Objet choisi par Laurent

🔹J’étais là, allongé sur le sol près de l’entrée du 17 bis. Je faisais semblant de dormir. En fait, je ne dormais pas. J’attendais qu’on vienne me voir. Enfin je fus caressé une première fois, puis, une deuxième, jusqu’à 6 fois je crois.

Au-dessus de moi, un écriteau : « Les Simones, c’est ici ». Belle indication. Je les ai entendus parler de cette maison « Les Simones », même d’un  «  labo »  d’où sortaient autrefois des bruits étranges issus de quelques expériences mystérieuses. Dehors, du bruit, il y en a aussi et quels bruits ! La rue Blanchard, encombrée de gros camions qui charrient actuellement des tonnes de gravats…pour que ces derniers soient transformés en ciment, cloisons, murs, bref en immeubles. « Les Simones » en tremblent ( dans tous les sens du terme ) : la Maison restera-t-elle debout ? Et moi, pauvre « paillasson » me transformera-t-on en Art blanc exposé dans cette rue « Blanc H’Art » ?

Objet choisi par Michel

📌 Les objets choisis par nos écrivants sont : la cheminée, le fauteuil en osier, le placard de la cuisine, l’interrupteur, le carrelage de l’entrée, le miroir de la chambre jaune, le heurtoir de la porte d’entrée, l’horloge, un paillasson. 

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