Amor, à mort

Pour le dernier atelier de la saison d’écriture 2024-2025, À Mots croisés est parti à la rencontre d’une association balnéolaise, Les Simones, et de Carol Rose, que nous remercions vivement pour son accueil.

Dans ce pavillon des années 30, nos écrivants ont eu le loisir de s’imprégner des lieux et de libérer leurs imaginaires. Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, les a invités à raconter des histoires pleines de mystère.

Nous vous laissons tout au plaisir de lire le récit de Carmen ! 

Amor, à mort

Le 17 bis de la rue Blanchard à Bagneux, était pour la famille Delmarre, le rêve de toute une vie, devenir propriétaire d’un pavillon dans une banlieue ayant le charme d’une petite ville province tout en étant aux portes de Paris.

Vincent, Lise et leurs deux enfants, Julia et Hector emménagèrent par un froid matin de février 2021. 

La maison, inhabitée depuis près de dix ans, se montrait plutôt austère avec ses moellons gris, sa toiture moussue et son jardin en friche. Néanmoins, ce fut un véritable coup de cœur pour les époux, désireux d’offrir à leurs enfants, un cadre de vie proche de la nature et des bonnes écoles. De plus, leur budget était respecté, le prix demandé étant bien en dessous du marché de l’immobilier. Heureux de leur bonne affaire, Hector et Lise ne se posèrent donc aucune question. Ils posèrent leurs valises en se disant que c’était pour la vie, que cette maison se transmettrait de générations en générations. De Parisiens ils devenaient donc Balnéolais. Il ne fallut que peu de temps pour que chacun trouve sa place dans la vaste demeure et ils attendirent les beaux jours avec impatience afin de profiter du jardin et des longues soirées d’été avec les amis qu’ils voulaient épater par leur réussite.

La première des lettres arriva le 21 juin, pour la Fête de la musique. Elle était adressée à Lise ce qui l’étonna car il y avait bien longtemps que tout son courrier était dématérialisé. La missive exhalait un parfum fleuri, l’enveloppe était de velin blanc avec une adresse écrite à la main. La jeune femme la décacheta pour en sortir une feuille pliée avec grand soin. L’écriture l’interpella avec ses pleins et ses déliés. Plus personne n’écrivait ainsi et encore moins à la plume. L’ensemble désuet semblait sorti d’un film des années trente. Amusée, la mère de famille commença sa lecture.

Ma très chère Lise,

C’est à l’encre de mes yeux que je vous écris. 

L’amour a pris possession de mon cœur et je pense à vous nuit et jour.

Depuis le premier jour, vous n’avez cessé de m’éblouir.

Elle replia le papier brusquement. Mais qui donc lui adressait ce courrier. Elle n’avait pratiquement pas eu le temps de lier connaissance avec son voisinage alors recevoir une lettre d’amour était pour le moins étonnant. Sûrement une erreur de destinataire, des Lise il y en beaucoup, c’est un prénom banal se dit-elle autant pour se rassurer que pour trouver une explication. Puis, elle l’oublia dans un tiroir de son bureau.

Deux semaines plus tard, l’été se montrait caniculaire, la maison offrait un îlot de fraîcheur dans la chaleur ambiante. La construction d’une piscine fut envisagée pour l’année prochaine. C’est là que la seconde lettre arriva au 17 bis. Lise, en télétravail, releva la boîte aux lettres dès le passage du facteur. Elle avait un pressentiment quant à la nature du pli. Toujours le même parfum, le même grain de papier, la même écriture. Cette fois ci, l’expéditeur se montrait plus pressant vis à vis de la jeune femme, lui reprochant son silence, son absence de réponse.  Comment aurait-t-elle pu répondre, il n’y avait aucune adresse au dos de l’enveloppe et l’homme signait « Ton éternel amour ». 

Le plus inquiétant était qu’il semblait connaître beaucoup de choses sur la famille Delmarre. Où les enfants allaient à l’école, quels étaient leurs employeurs respectifs, leurs habitudes de vie. Cela la troubla mais ne jugea toujours pas utile d’en parler à son mari. Pourquoi l’inquiéter avec ça, pensa-t-elle ? Il travaillait déjà comme un forcené pour offrir un confort matériel à son épouse et ses enfants.

Seulement, le rythme des envois, s’intensifia à raison deux missives par semaine jusqu’à recevoir quasiment vingt courriers. A chaque fois, le ton devenait pressant, allant même jusqu’à menacer de révéler à son mari leur liaison imaginaire, de faire éclater au grand jour leur grande histoire d’amour.

Cette fois, Lise inquiète et désemparée, trouva le courage de parler à Vincent de ce qui lui arrivait. Après le dîner, elle lui donna tous les courriers et observa ses réactions. Il lut lettres après lettres tout ce son épouse avait reçu. Froid, impassible, l’époux avait le regard dur, un regard que Lise ne lui connaissait pas, lui qui se montrait  doux, aimant et attentif au bien être des siens. Rien de commun avec cet homme, qui venait de plier et ranger soigneusement tout les courriers que sa femme lui avait donné à lire. 

– Alors si je comprends bien, tu as une liaison depuis que nous avons emménagé ici?

– Vincent, mais non voyons mon chéri. Tu vois bien que c’est un fou qui envoie tout ça.

– Un fou? Tu dis un fou? Moi, je vois un homme qui t’écris des lettres enflammées. Hein!! Toi la romantique, la douce Lise, la gentille petite épouse dévouée à sa famille, tu as bien trompé ton monde. Tu m’as trompé Lise, trompé. Et moi qui me tue à la tâche pour toi, nos enfants. Pour t’offrir tout, absolument tout.

– Vincent, arrête, tu me fais peur. Parle moins fort, tu vas réveiller les enfants. Je n’ai aucune liaison, ces lettres arrivent par erreur. Sûrement destinées à la précédente propriétaire. Oui, c’est ça, ça ne peut être que ça. Demain, j’irai à la poste et je verrai avec eux pour ne plus recevoir quoi que ce soit et je renverrais toutes celles déjà reçues. Tout va rentrer dans l’ordre mon chéri, mais je t’en supplie, crois moi quand je te dis que je n’ai pas la moindre liaison. D’ailleurs je ne connais presque personne ici.

– Personne, tu te fous de moi, bien sûr que tu connais du monde. A commencer par ce type qui t’envoie ça. D’ailleurs, c’est qui ce mec, un gars plein aux as? Hein, dis moi? Plus personne n’envoie de lettre d’amour. Un vieux certainement comme ça tu imagines récupérer son fric. Saloperie et moi qui t’avais tout donné.

Blême, Lise ne parvenait pas à faire entendre raison à Vincent devenu hors de lui face à la supposée infidélité de son épouse. Le 17 bis de la rue Blanchard qui devait abriter leur bonheur familial, devenait le tombeau de leur amour. 

Durant des heures, le couple se déchira, alors que jamais auparavant, ils n’avaient connu pareille dispute. 

Le jour n’allait pas tarder à apparaître lorsque Vincent se tut brusquement. Il se leva de sa chaise, descendit à la cave où se trouvait encore un bric-à-brac qu’ils n’avaient pas toujours, eu le temps de débarrasser. En bas, se trouvaient les restes de l’ancien labo qui avaient dû servir à des expériences de chimie. Sur la paillasse de carreaux blancs, trônait un vieux fusil rouillé mais en parfait état. Vincent ne l’avait encore jamais vu mais une voix dans sa tête lui avait commandé d’aller le chercher afin de régler son problème. Il fallait punir Lise, lui faire payer sa trahison. Dans le salon, la jeune femme, assise dans un fauteuil,  pleurait le visage enfoui dans ses mains. Elle ne le vit pas arriver, entendit juste le bruit que fit l’arme quand on enclenche la cartouche dans le canon.  Une fraction de seconde plus tard, elle était morte, la tête ensanglantée. Puis, toujours sans la moindre émotion, Vincent retourna le fusil contre sa poitrine et se tira une balle dans le cœur.

Alertés par les cris des enfants et des deux déflagrations, les plus proches voisins appelèrent la police qui se rendit sur les lieux du drame qui venait de se nouer. L’inspecteur Mercier, vieux briscard aux portes de la retraite, se fraya un chemin entre les policiers déjà dans la maison. Les premières constatations faisait état d’un féminicide suivi d’un suicide, du moins en apparence.

Dans le salon, un collègue, moins expérimenté, conclut hâtivement à cette version. Enervé à cause du manque de sommeil,  Mercier lui coupa net la parole.

– Pas si sûr que toi sur ce coup là. Regarde un peu partout pour voir si tu ne trouve pas des lettres, beaucoup de lettres.

– Des lettres? Quel genre de lettres ? fit il

– Du genre d’amour si tu vois ce que je veux dire.

Il commença à fouiller dans le salon avant de mettre la main sur une série d’enveloppes qui semblaient correspondre à ce que son supérieur cherchait et les lui tendit.

– C’est ça ? demanda-t-il.

– On dirait bien, fit l’inspecteur en lisant une lettre au hasard.

– Mais c’est quoi cette histoire de courrier ? Ce n’est quand même pas ça qui a tué ces gens.

– Détrompe toi. Il y a un truc bizarre dans cette maison. Tous les dix ans, un homme tue sa femme après que celle-ci ai reçu une correspondance amoureuse. Le pire c’est qu’on n’a jamais pu découvrir qui a écrit ces courriers. Tout ce qu’on sait, c’est que la folie s’empare du mari et qu’il s’agit toujours du même type d’arme. Pas besoin d’attendre les résultats de la balistique, je suis persuadé que c’est une balle de 22 tirée par un canon rayé. 

Le jeune flic semblait sceptique devant les affirmations de son supérieur. Jamais, il n’avait eu vent de cette histoire au commissariat de Bagneux. Il se dit que Mercier cherchait à le bizuter, lui le bleu. 

– Tu ne me crois pas, n’est-ce pas? Je te comprends. Moi non plus,  je n’y croyais pas quand on m’a raconté ça devant la première scène de crime, la même que celle qu’on a devant nous. Pas grave, tu penseras à ce que je viens de te dire la prochaine fois que tu auras le même « spectacle » devant les yeux.

Puis, il sortit prendre l’air du matin. Il faisait déjà beau et chaud. Il alluma une cigarette. En tirant une bouffée, il se dit que c’était une journée parfaite pour un crime sordide.

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑