Pour le dernier atelier de la saison d’écriture 2024-2025, À Mots croisés est parti à la rencontre d’une association balnéolaise, Les Simones, et de Carol Rose, que nous remercions vivement pour son accueil.
Dans ce pavillon des années 30, nos écrivants ont eu le loisir de s’imprégner des lieux et de libérer leurs imaginaires. Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, les a invités à raconter des histoires pleines de mystère.
Nous vous laissons tout au plaisir de lire le récit de Nicole !
E P P
2030
Bagneux fait partie du « Grand Paris » ! Immeubles à touche touche et tours impersonnelles ont remplacé le patchwork des petits pavillons de banlieue avec jardins. Seuls quelques propriétaires (une dizaine environ) ont réussi à faire classer leur maison en TAS : « Témoin Architectural Significatif » du 20ème siècle. C’est le cas du 17 bis rue Blanchard : la « Maison des Simones » (en l’honneur de trois Simones : Weill, de Beauvoir, Signoret) maison qui date de 1930. Conservée et entretenue à peu près en l’état, elle est devenue un lieu coopératif d’échanges, de culture, de bien-être qui soutient aussi des agriculteurs respectueux de la terre et de l’environnement. La Maison des Simones, c’est, dans la ville, une oasis verdoyante et vivante au milieu du béton à étages.
Parmi ses adeptes, un ingénieur dit « de haut niveau » s’est approprié la cave où il joue au « Professeur Tournesol » sur ses temps de loisirs : « Il n’y a que là, dit-il, que je suis tranquille et que je me sens bien ! » Chaque fois, il arrive avec deux mallettes, une au bout de chaque bras. Elles semblent plutôt lourdes. Il salue aimablement les personnes présentes et va s’enfermer seul au sous-sol : « Je vais bricoler » dit-il. Aucun bruit, aucune odeur, aucun témoin, aucune explication sur « ses bricolages ». Il repart souriant, avec ses deux mallettes, après avoir courtoisement salué l’assemblée, visiblement content de lui. Chaque fois, il laisse la cave dans le parfait état où il l’a trouvée, c’est-à -dire totalement vide à l’exception d’une grande paillasse en céramique, vestige d’un passé obscur de laboratoire, raconte-t-on dans le quartier.
2035
Pendant que les Simones et les Simons se perdent en conjonctures sur les bricolages de Tournesol, les quelques pavillons qui restaient à Bagneux ont disparu. Bulldozers et grues « téléguidées à distance » ont rapidement dégagé maisons, jardins… et… souvenirs d’une époque où machines, robots, réseaux sociaux n’étaient pas totalement rois. Le bruit court et enfle d’un risque d’expropriation du 17 bis de la rue Blanchard.
Les Simones ont engagé la résistance. Elles multiplient les « portes ouvertes », les conférences, les expositions, les spectacles, les manifestations, etc. De plus en plus de Balnéolais les soutiennent. Tournesol, de son côté, fréquente de plus en plus la cave, toujours dans les mêmes conditions, mais en ponctuant ses allées et venues d’un « Faites-moi confiance ! » très jovial.
6 juin 2040
Aux aurores, des habitants de la périphérie de Bagneux battent le rappel de tous les membres de l’association des Simones : « Ils arrivent, les destructeurs, ils arrivent ! Rassemblement général au 17 bis ! ». Tournesol, aidé de son fils (jusque-là méconnu ), fait plusieurs trajets de son domicile aux Simones. Tous deux embauchent même d’autres personnes pour les aider. Les voilà qui installent non pas deux mais 24 mallettes sur une grande circonférence autour du terrain et de la maison. Ils choisissent deux ou trois responsables pour chaque mallette et demandent à tous les autres membres de rester assemblés dans la maison ou dans son entourage proche pour ne pas gêner les opérations. Rapidement , ils ouvrent enfin, une à une, les fameuses mallettes ! A leur surface, un écran, des cadrans, des manettes : rien d’extraordinaire… mais, oh ! surprise ! après quelques manipulations simples expliquées aux responsables, il fuse de chaque mallette des voiles lumineux, colorés, ondulants comme des aurores boréales. Les voiles s’élèvent lentement au-dessus de la maison et de son terrain et s’assemblent en un dôme géant, scintillant, multicolore, certes du plus bel effet mais « qui sert à quoi ??? ».
Le roulement bruyant des destructeurs se rapproche. Ils encerclent le quartier. Un temps d’arrêt devant ce spectacle imprévu, insolite… Trois bulldozers foncent sur le dôme !… Là, incroyable : avant même qu’ils l’aient touché, ils sont éjectés et renvoyés en arrière à l’endroit même d’où ils s’étaient élancés et le tout apparemment sans dommage. Victoire ! Toute la journée le même manège se reproduit, sans succès, pour les machines, les robots et les quelques humains qui tentent le coup ! La nuit, les effets sont encore plus beaux !
Tournesol et son fils sont confiants : le dôme ainsi déployé s’autoalimente en énergie et il peut repousser des charges quelles que soient leurs masses. Il ne nuit pas, par contre aux réseaux informatiques. La nouvelle de cette découverte fait instantanément le tour du monde. La Maison des Simones reçoit des messages de soutien de partout. Une marée humaine arrive de tous côtés, à bonne distance du dôme, pour ne pas être repoussée. La plupart des arrivants s’émerveillent. D’autres cherchent déjà comment reproduire ou acheter cette invention ou comment l’utiliser dans d’autres contextes
Tournesol est devenu le nouvel Einstein. Il se doit de s’expliquer. Il accepte, avec son fils, mais sous conditions :
– en priorité, conserver la « Maison des Simones » et ses terrains au 17 bis rue Blanchard.
– recréer, dans les villes, des zones pavillonnaires avec jardins (à prix modérés) sur la moitié des surfaces habitables.
– développer dans ces quartiers d’autres associations coopératives « Maisons des Simones ».
– sur le plan national et local, créer des organismes d’élu(e)s de ces associations pour gérer les mises en œuvre et pour s’assurer que cette nouvelle invention ne sera utilisée qu’à des fins de paix et de progrès pour les habitants.
Le sigle de ces assemblées pourrait être EPP : « Effet Ping Pong » compte tenu du fait que les dômes peuvent « attirer » mais aussi « repousser» tout objet, même non métallique, à la manière des aimants. Après ses essais « en cave », Tournesol et son fils s’étaient entraînés en secret dans un grand hangar disponible dans le Bois de Verrières. Ils s’étaient exercés avec eux-mêmes et avec des objets de plus en plus lourds, y compris avec leur voiture, un camion, etc. en se limitant tout de même un peu pour ne pas perturber le trafic « des fusées de transport » du « Grand Orly ! »
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