Mer nourricière

Après « Le paysage, la nature sauvage », « L’arbre en miroir», «  Autour de l’eau », Ghislaine Tabareau-Desseux, intervenante À Mots croisés, nous a invités à un atelier consacré aux habitudes adoptées pour « faire du bien » à la planète et à imaginer un récit où le personnage central ferait face à son engagement pour la planète. 

À suivre le récit de Jean-François  !

Mer nourricière

Ça fait sept ans maintenant que je pars sur les mers, pendant toutes mes vacances. 

Je me suis lancé après avoir construit ce voilier de mes propres mains. J’ai toujours pensé que la mer était l’origine de la vie et que si on voulait préserver celle-ci il convenait de protéger celle-là. Je voulais être aussi certain de l’origine des matériaux qui équiperaient mon esquif : bois, voile, accastillage et méthodes de production, alors j’ai mis toute mon énergie dans la construction de ce bateau en bois. Pendant six ans, vacances, week-ends et quelquefois le soir, je m’y mettais.

Au début, quelques amis vinrent me prêter main forte. Dans une ambiance festive, nous mesurions, découpions, poncions les premières ébauches, puis leur énergie déclina. Je me suis accroché, j’ai évité les soirées, les sorties avec les amis et les invitations se réduisirent, puis je les ai perdus de vue. 

Vint le jour où je mis le bateau à l’eau. J’étais seul, je n’avais prévenu personne, mes amis n’avaient pas compris l’énergie que je dépensais à vouloir m’engager dans le nettoyage des mers avec mon bateau équipé de filets à petites mailles pour ramasser tous les détritus : plastiques, ferrailles, faïence, béton, verre, canettes. 

Et puis, la solitude commença à peser. J’ai essayé, sans succès, de motiver quelques relations professionnelles à plonger dans mon projet, mais je n’ai pas pris suffisamment le temps d’argumenter l’importance de la mer dans l’éco-système. Je n’ai pas pris le temps de dire que la vie sur terre est d’abord apparu dans la mer, que si on continue à tout jeter n’importe où, on retrouvera tout à la mer, et que si la mer continue de se remplir de nos déchets, alors la vie y disparaîtra petit à petit, la mer ne sera plus nourricière, elle ne sera plus source de vie et la création connaîtra le phénomène inverse à l’origine de la vie qui alors disparaîtra. J’ai essayé de me rapprocher d’associations, mais nous avions des perceptions divergentes. Celles que j’ai rencontrées, vivaient au bord de mer et ne comprenaient pas que je sois resté dans la grande ville pour le travail. Beaucoup m’accablaient d’incohérence entre mon action et mes déplacements.

J’échange de temps en temps au téléphone avec mes parents qui se plaignent de ne plus me voir et mon frère, je n’ai que de rares nouvelles par ma mère qui me raconte sa vie de pilote chez Air France. Évidemment, il n’a pas compris grand-chose à mes choix : lui dans les airs, moi sur les mers ; lui avec ses réacteurs et son kérosène, moi avec le vent.

Voilà, ça fait donc six ans que je prends ma voiture électrique et la remorque pour conduire le bateau d’une mer à l’autre. Je navigue sur différentes mers et ne peux laisser le navire au port. Je sillonne la mer. Dès mes filets remplis, je les ramène au port et attends les engins qui vont transporter les déchets à la déchetterie. Six ans que je passe mes fins de journées après le travail et mes week-ends à contacter les mairies et les capitaineries pour discuter et négocier du traitement des déchets. Souvent, je me fais jeter, mais j’arrive toujours à accrocher un décideur, quelqu’un d’intéressé avec qui je peux envisager un endroit où je peux hisser les voiles.

Aujourd’hui, je crois qu’il est temps que j’écoute ma mère ; elle me répète sans cesse : « Qu’attends-tu pour nous présenter quelqu’un ? Qu’attends-tu pour fonder une famille ? Tu nous fais bien rire avec ta mer. De toute façon, comme dirait l’autre, les poissons chient dedans ! » Putain à quarante cinq-ans, je n’ai pas vu le temps passer et je crois qu’il est temps que je transmette vraiment à quelqu’un la nécessité de continuer ce combat, de nettoyer la planète, alors peut-être à mes enfants, si je peux en avoir un, mais avant, je dois trouver une mère.

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