Rentrée littéraire

Pour le premier atelier Découverte de la saison 2025 – 2026, Annie Lamiral, intervenante A Mots croisés, a proposé au groupe d’« Écrire avec les yeux », à explorer la puissance, le pouvoir de l’œil, du regard, du visible.

À suivre le récit imaginé par Dominique ! Bonne lecture !

Rentrée littéraire

Il n’avait jamais remarqué cette librairie au coin du boulevard mais il y entra d’un pas décidé en quête urgente d’une lecture pour la soirée. En effet, il ne pouvait pas s’endormir sans avoir lu quelques lignes d’un livre, voire quelques chapitres selon son intérêt pour le bouquin, le suspens de l’histoire et son propre état de fatigue.

C’était la rentrée littéraire de septembre. Les tables regorgeaient de nouveautés dans un déluge de bandeaux colorés, de couvertures tantôt austères tantôt chatoyantes, de notules aux écritures variées. Sans titre de livre en tête ni a priori il commença sa recherche, se faufilant parmi la clientèle assez dense. Histoire de pimenter son choix, il s’était dit qu’il ne lirait pas les résumés, qu’il choisirait au feeling, en fonction de la couverture.

Il jeta un œil sur la première table. Il fut charmé par le regard direct et déterminé d’une belle femme blonde aux yeux noisette sur le bandeau du livre « Je voulais vivre ». Elle avait de surcroît un nom délicieusement suranné et très classe : Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Elle semblait lui dire « Choisis-moi, pas d’erreur, lecture percutante assurée ». C’était diablement séduisant.

Il glissa ensuite au regard fixe et inexpressif d’une femme nue, nonchalamment allongée sur un sofa au milieu d’une jungle stylisée. « Le Rêve » du Douanier Rousseau. Deux lionnes au regard halluciné, hypnotisées par le chant d’une flûte, émergent des fleurs arborescentes. Diable, à en croire le bandeau « La nuit au cœur » serait une promesse d’exotisme dangereux ? Le nom de l’auteure, Natacha Appanah, l’emmenaen revanche voyager vers les territoires indiens. Que des perspectives attirantes.

Puis, le visage grave et lumineux d’une jeune femme l’attira à une autre table. Ses yeux vagues et pensifs semblaient vouloir l’entraîner dans des abîmes de perplexité et de noirceur. Prêt à s’abandonner au charme de Maria Pourchet et à plonger dans « Tressaillir », il sentit qu’on lui coulait un regard aguicheur. Il se planta aussitôt devant le livre d’Alessandro Barbaglia et n’eut d’yeux que pour l’actrice Hedy Lamarr, qui le toisait d’un air lointain et dédaigneux mais si chic sous sa capeline. Le buste légèrement penché en avant, ses épaules nues, le bras gauche négligemment appuyé sur ses jambes croisées, les mains jointes gantées de dentelle noire, quel chien ! « L’invention d’Eva » valait certainement le détour.

La ronde des livres s’accéléra. Sur sa droite, il perçut le regard effronté de la fille dessinée sur la couverture de « L’homme sous l’orage », derrière lui les regards des jeunes femmes de « Nourrices » l’interpellèrent, et sur sa gauche les yeux francs et curieux d’une gamine la couverture « D’entre toutes » ne voulaient plus le lâcher. Tous ces regards lui donnaient le vertige, la tête commençait à lui tourner.

Titubant presque, il reprit son équilibre en se rattrapant à la table des nouveautés en poche. Et là, il fut happé tout entier par un regard d’une douceur extrême, presque las et fatigué, sous un turban d’un bleu délavé. « Les yeux de Mona » le fixaient, lui et uniquement lui. D’emblée, il sut que ce serait ce livre qui accompagnerait le début de ses nuits.

Il se présenta à la caisse. La libraire était affligée d’un strabisme divergent qui finit de le dérouter. Elle se pencha vivement vers lui avec son regard désaxé et dérangeant et lui glissa à l’oreille : « Vous pourrez lire à l’œil ce soir. C’est gratuit pour vous aujourd’hui ».

Il sortit de la librairie éberlué et s’arrêta sur le trottoir, un peu sonné. Un éclat de soleil lui fit lever la tête vers l’enseigne :Librairie « A l’œil volatile ».

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