Pour le premier atelier Classique de la saison 2025 – 2026, Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a proposé au groupe d’écrire autour du « Point de bascule », appelé aussi tournant narratif, twist, ou moment charnière. Il s’agit d’un événement ou d’une révélation qui modifie radicalement le cours de l’histoire ou la compréhension qu’en a le lecteur, un moment essentiel à la dynamique du récit.
À suivre le récit imaginé par Adélaïde.
À bout
Lucy regardait la liste infinie devant elle. Toutes les minutes, elle y rajoutait une ligne. Une autre tâche à accomplir. Il fallait ensuite qu’elle les organise, puis qu’elle les priorise : clairement les courses passaient avant l’achat du canapé. Mais elle ne savait pas trop pour la réfection de la cuisine ? Elle était fonctionnelle après tout. Mais tiendrait-elle le choc pour nourrir une meutE de vingt personnes quasiment tous les jours ?
Lucy s’affala sur sa chaise et posa sa joue sur la table. Ses yeux secs la piquaient. Son cuir chevelu la grattait, elle avait vraiment besoin d’un shampoing. Une chose de plus à faire. Et surtout sa louve avait besoin de sortir, d’aller courir. C’était le plus urgent. Enfin le plus urgent, une fois qu’elle aurait complété sa liste. Le constat était clair, elle avait vu trop grand : s’occuper de la meute, acheter et rénover la maison, commercer cette relation avec Louis. Il fallait que quelque chose lâche, pour qu’elle puisse à nouveau exister.
Elle l’avait vu arriver, pas à pas ce choix. Mais en plongeant la tête dans le quotidien, elle s’était mise des œillères, et s’était qu’au final elle y arrivait. Les journées s’étaient enchaînées, toutes pareil, sans une minute pour elle et sa louve. Elle sentait maintenant ses épaules tendues, sa mâchoire serrée et son dos en vraque.
Elle n’avait jamais rêvé de devenir l’administratrice de la meute. Elle voulait les aider à grandir, elle voulait être une grande leader comme son grand-père. Elle se retrouvait homme politique de bas étage.
La maison aussi, un autre de ses rêves. Un rêve de meute, un rêve de famille. C’était supposé être un leu de réunion pour eux tous, un lieu de vie qu’elle construirait ensemble. Et la voilà dépositaire de toutes les décisions, architecte, chef de chantier et main d’œuvre. A chaque fois qu’elle demandait de l’aide, la meute accourait, restait cinq minutes pour l’aider et repartait aussitôt vivre sa vie. Et plus rien n’avançait. Oh ils lui faisaient confiance, elle trouverait bien une solution, disaient-ils en permanence.
Et enfin Louis. Il était là autant qu’il le pouvait avec ses remarques sarcastiques et son regard vert perçant. Il lui souriait comme s’il était seul sur terre. Mais il dirigeait une autre meute, leur relation n’était pas plein d’avenir, mais pleine de souffrance en devenir., de choix impossibles. Ils n’avaient partagé que quelques rendez-vous, et elle n’était toujours pas sûre. D’être prête à faire confiance à nouveau. Que Louis convienne. Et pourtant, une relation passagère avec lui paraissait inenvisageable.
Lucy releva la tête, déplia son dos à coup de craquement pour mieux aller s’allonger sur les tommettes fraîches du salon. Elle sentit son corps retrouver son axe vertèbre après vertèbre. Elle commença à gonfler son ventre puis à souffler pour vider l’air qui s’y trouvait et les pensées qui s’entrechoquaient entre ses tempes. A chaque fois qu’elle s’en débarrassait d’une pensée, aurevoir achat du canapé, une autre revenait : bonjour course de pleine lune à prévoir. Et au milieu du chaos une pensée limpide : il faut que quelque chose lâche.
Lucy soupira. Elle ne pouvait rien lâcher. La meute avait besoin d’être guidée, surtout en ce moment. Elle venait d’acheter la maison, elle ne pouvait pas la laisser à l’abandon. Et Louis … Louis. Peut-être que c’était ça. Elle commencerait une nouvelle relation plus tard. Un grondement sortit de sa gorge. Si elle laissait partir Louis maintenant, il ne reviendrait pas. Pas après tout ce temps.
Et cette pensée : il faut que quelque chose lâche. La meute, la maison, Louis. Il faut que quelque chose lâche. La maison, Louis, la meute. Il faut que quelque chose lâche. Louis, la meute, la maison. Sa poitrine commença à se serrer. Lâche ! lâche ! lâche. Et épuisée, elle cria « STTOOOPPP !! Laa meute, je lâche la meute. »
Une larme roula sur sa joue jusqu’au coin de sa bouche. Elle laisserait la meute, celle-ci se trouverait un autre guide. Une boule d’angoisse pesait sur son ventre à cette idée. Elle espérait qu’elle ne condamnerait pas la meute avec cette décision.
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