« Le Familier et l’Étrange » – Cet atelier d’écriture, proposé par Valentine Pardo, a permis d’explorer la frontière entre le connu et l’inconnu, entre le familier et l’étrange.
Dans un premier temps d’écriture, les écrivants étaient invités à raconter une scène banale du quotidien et de la faire glisser vers un étrangeté subtile; puis, à écrire un récit où le personnage central retrouve un ami d’enfance, perdu de vue depuis des années. Un récit où il s’agissait d’aborder l’altérité et d’insérer un ou plusieurs dialogues.
À suivre les récits de Danielle.
La disparition
Comme chaque dimanche, je sors vers 10 h pour aller au marché. Mes visites aux commerçants suivent un itinéraire régulier : le traiteur chinois, le marchand de fruits, le charcutier, le pâtissier et le maraîcher. Je me réjouis déjà de savourer pour mon déjeuner les crevettes sauce piquante avec des nouilles sautées aux légumes, et la tarte aux pommes croustillante en dessert.
Heureuse de mes emplettes, je rentre chez moi pour ranger mes denrées au réfrigérateur, sauf les tomates. Soudain, je constate que les plats chinois ne sont plus là. Ni dans mon cabas, ni sur le plan de travail avant de rejoindre le réfrigérateur. J’ai dû les oublier sur le comptoir du commerçant. Qu’à cela ne tienne, je ressors sur la place du marché et rejoins à toute vitesse l’étal du traiteur. Je lui demande aussitôt si je n’ai pas oublié mon paquet. « Non » me répond la vendeuse. Je suis dépitée, car j’avais quand même pour 20 € de marchandises.
Je reviens chez moi ; et range les denrées qui étaient restées sur le plan de travail dans le réfrigérateur. Et là, en ouvrant le bac à légumes pour y ranger mon raisin, que vois-je ? Le paquet du traiteur chinois que je n’avais pas rangé là où je le mets d’habitude. Ouf ! Soulagée ! J’avais même pensé qu’on avait pu me le voler, mais c’était simplement une étourderie qui m’avait causé tant de frayeur.
Un revenant
Les invités arrivaient tranquillement à la réception qui suivait le mariage de Jean-François et Céline. Enfin, le vin d’honneur était, je crois, le mot approprié. Tous sur leur 31, sauf un grand gaillard qui dépassait tout le monde de ses presque 2 m. Une dégaine de beatnick, tout de jean vêtu, un bandana rouge autour du cou, à la place de la cravate ou du nœud papillon de rigueur, et des santiags aux pieds. Mais que venait faire ce curieux personnage à cette fête ?
Il me rappelait étrangement Marc, parti il y a 20 ans sur la route de Katmandou. Mais ce n’était pas possible : on l’avait déclaré disparu des dizaines de fois. Pourtant, à force de le dévisager, l’évidence se fit : la fossette sur le menton, les yeux vert émeraude, les cheveux en bataille, châtains qui se teintaient de gris, un visage buriné de baroudeur qui avait suit sous le soleil, c’était bien Marc qui fendait la foule pour venir jusqu’à moi.
20 ans qu’il avait disparu de ma vie, Marc, mon ami d’enfance, complice de tant d’aventures. Quand je l’entendis m’interpeller « Claude » je sus que je ne m’étais pas trompé.
– Mais, balbutiai-je, je te croyais disparu… Que fais-tu ici ?
– Et non, vois-tu, Claude, je ne suis pas mort, même si certains l’auraient bien voulu !
– Mais, pendant toutes ces années, tu n’as donné aucune nouvelle. Pourquoi ?
– Je voulais me faire oublier, et oublier aussi.
– Je ne comprends pas, que voulais-tu oublier ?
– Tu te souviens de Marie, la fille avec qui tu sortais, Claude ?
– Oui, bien sûr, comment pourrais-je oublier mon premier amour ?
– Et bien, désolé de te l’apprendre, mais nous avons eu une liaison, Marie et moi. Bien sûr, tu ne l’as pas su. Et, puis, Marie est tombée enceinte. J’étais trop jeune pour fonder une famille, alors je me suis enfui comme un lâche….
– Si je ne me retenais pas, je te casserais la figure ! Mais tout ça ne me dit pas pourquoi tu es ici, à ce mariage ?
– C’est très simple, Céline est la fille de Marie, et c’est ma fille…
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Crédit photo
Götaplatsen, Göteborg (Suède)
Copyright photo @annyelleparis
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