Le déclic

Pour la toute première fois depuis la création de l’association, il y a plus de dix ans, À Mots croisés a proposé, cet automne, une journée d’écriture à ses écrivants : « Quand écriture rime avec architecture ». Annie Lamiral, intervenante, a choisi de l’organiser à Bazoches-sur-Guyonne, près de Montfort-L’Amaury. Pourquoi ? Parce que les ateliers hors les murs permettent non seulement d’ouvrir les imaginaires autrement, mais aussi de découvrir des lieux proches, des sujets, des illustres, tout proches de Bagneux ! 

L’atelier du matin s’est déroulé dans la Maison Louis Carré, grâce au soutien précieux d’Ásdís Ólafsdóttir, administratrice du lieu. Cette maison iconique est le fruit de la rencontre et de l’entente entre deux hommes d’exception, un marchand d’art et galeriste Louis Carré (1897-1977), et un architecte finlandais, Alvar Aalto (1898-1976). 

Dans le deuxième temps d’écriture, Annie a proposé d’imaginer un personnage et de raconter un fragment de sa vie dans la Maison Louis Carré en mettant le focus sur un meuble, un objet, une forme, un matériau.

À suivre le récit d’Amina.

Le déclic

En panne d’inspiration, il avait depuis des mois une peur bleue de la page blanche qui le paralysait. Alors, quand on lui avait parlé de cette maison à l’abri de l’agitation des foules et d’esprit nordique, il n’avait pas hésité longtemps. Il avait bouclé ses valises et avait emménagé dans la chambre d’amis, sous le charme du puits de lumière qui réchauffait corps et âme à travers les grandes baies vitrées bordant le bureau.

Au contact du bois clair et de la lumière qu’il réfléchissait, son cœur s’était apaisé. Une quiétude bienfaisante l’avait envahi, qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps. Il avait passé la journée assis à ce bureau, à contempler le paysage changeant au gré du vent et des nuages. Une œuvre d’art mouvante et déconcertante, dans laquelle il avait campé ses deux protagonistes, un couple suédois séduit par la culture française.

La première nuit avait en revanche tranché avec la sérénité du lieu et de la journée : il avait longtemps tourné et retourné son corps dans ces deux lits vétustes accolés, bien trop petits et inconfortables pour un habitant des temps modernes. Il lui avait fallu plusieurs nuits pour s’y accoutumer, dont il se souviendrait longtemps. Le petit-déjeuner, pris au bord de la piscine, l’avait réconforté et revigoré après cette nuit agitée, et il avait trouvé l’énergie nécessaire pour établir le programme de cette semaine de résidence qui devait s’avérer déterminante pour sa carrière. Sept jours de déambulations pour s’imprégner de l’esprit de chacun des lieux composant cette maison atypique.

Le lundi dans le sauna finlandais, où ses personnages s’attarderaient dans un cadre épuré qui mettraient leurs émotions à nu. Le mardi dans la lumière tamisée de la bibliothèque pour sonder leur intériorité et la noirceur de leurs pensées. Le mercredi, un entre-deux passé dans le salon faisant se croiser les regards intérieurs et celui de la société porté sur ces deux êtres hors normes. Le jeudi, exploration du premier étage et des chambres réservées au personnel pour faire ressortir les différences sociales. Le contraste entre la blancheur de la salle-de-bain et la douceur du sauna. Vendredi, focus sur la cuisine : élaboration d’un repas typique des années 1950 pour plonger dans le passé des personnages et raviver les saveurs d’antan. Samedi, excursion dans la nature : promenade dans les bois, observation des chevreuils et des écureuils. Écriture au contact du tronc de l’arbre pour faire ressortir l’essentiel – les valeurs et les émotions qui guident ses personnages. Et dimanche, plongeon dans la piscine pour se rafraîchir les idées et relire l’ensemble de son œuvre avec un regard nouveau.

Il était sorti de cette semaine ragaillardi, réconforté par l’existence de ce lieu de recueillement ouvert sur l’extérieur, l’esprit guéri par cet environnement à la fois sobre et harmonieux. Et quand son roman avait remporté le prix Goncourt quelques mois plus tard, il avait éprouvé un immense sentiment de gratitude pour la maison de Louis Carré, qui lui avait un temps servi de refuge.

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© Photo @annyelleparis

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