Pour la toute première fois depuis la création de l’association, il y a plus de dix ans, À Mots croisés a proposé, cet automne, une journée d’écriture à ses écrivants : « Quand écriture rime avec architecture ». Annie Lamiral, intervenante, a choisi de l’organiser à Bazoches-sur-Guyonne, près de Montfort-L’Amaury. Le matin, visite guidée et atelier d’écriture à la Maison Louis Carré, conçue par l’architecte Alvar Aalto. L’après-midi s’est déroulée à la Maison Jean Monnet, l’architecte de l’Europe. La visite guidée – assurée par Véronique Recher que nous remercions ici chaleureusement – a permis de nourrir les récits, de croiser l’Histoire avec la fiction.
🔹Dans un premier temps d’écriture, Annie a proposé de rédiger un portrait littéraire ou fictionnel de cet homme discret, mais déterminé.
À suivre les récits de Carmen.
Monsieur André
Mon bonheur quotidien ? Mes longues promenades matinales à travers la campagne, dès potron-minet. J’ai besoin de ces instants de tranquillité qui ouvrent mes réflexions sur le monde. Je savoure la paix, ma paix.
Si j’apprécie ma solitude, j’aime rencontrer le paysan, l’ouvrier, le tâcheron laissant femmes et enfants, partir gagner leur vie pour un salaire de misère.
Ils ont le bon sens des gens ancrés dans leur pays, dans leur terre, sans filtre, sans langue de bois.
Parfois, je songe que ce sont eux, qui en vérité m’inspirent dans mon projet de grande union. Et puis, il me plaît à penser que, de l’autre côté d’une frontière, vivent des hommes et des femmes qui aspirent, eux aussi à des lendemains qui chantent.
Une frontière ? Qu’est-ce qu’une frontière ? Rien qu’une ligne imaginaire ayant trop souvent fait verser le sang de soldats pour un combat qui n’était pas forcément le leur.
L’animal, qui ne sait rien de ces délimitations humaines empêchant les peuples de vivre ensemble, déambule au gré de ses besoins, de ses envies. Quand, nous citoyens de l’Europe, pourrons-nous agir de même ? Je rêve de cette union chaque nuit et le jour venu, je m’en ouvre à André, mon chauffeur. Il a la sagesse des fidèles confidents.
Le chantier de la maison de mon ami Louis Carré est quasiment achevé. Il m’a présenté l’architecte de cette demeure atypique, Alvar Aalto. Un homme admirable venu de Finlande. À Bazoches-sur-Guyonne, il est bien loin de ses forêts finnoises. Pourtant, il est venu avec ses idées novatrices, son ouverture d’esprit en partage.
Son exemple me pousse à entreprendre la construction de la maison Europe et si le Ciel m’en donne la force, je serai fier d’en être l’architecte.
Je ne suis pas optimiste mais déterminé.
🔹Le deuxième temps d’écriture permettait de raconter une rencontre improbable / chaotique / heureuse / surprenante entre deux personnages de différents pays d’Europe.
Histoire d’exil
Mon grand-père parlait espagnol, pensait français, rêvait de liberté.
Une valise de carton bouillie dans chaque main, il débarqua un matin d’hiver à Paris, accompagné de ma grand-mère et de deux de leurs enfants. On lui avait dit que cette route menait à une vie meilleure.
Il avait fait la guerre. Pas la grande, pas la seconde, mais la plus terrible de toutes, la guerre civile. Qui peut imaginer que votre pire ennemi est parfois votre voisin ?
Alors, il faut persuader ses proches, de tout laisser derrière soi, quitter une terre natale où reposent vos ancêtres, projeter son futur dans un autre pays.
Février 1950, sol de France. Il ne fait pas chaud, leurs vêtements peu adaptés à l’hiver rigoureux de cette année-là. Les sonorités de la langue, le froid, les regards de travers, il leur a fallu une dose de courage pour ne pas faire demi-tour.
Néanmoins, abuelo avait un sacré atout en poche. L’adresse de la mission espagnole, rue de la Pompe à Paris 16e. Je ne sais comment ils firent pour trouver le chemin mais ce fut leur premier refuge. De quoi souffler un peu pour envisager leur nouveau quotidien, après avoir demandé le statut de réfugié politique.
Parfois, je songe à ce que ma famille a ressenti. Peine, chagrin, colère, soulagement. Mais la discrétion était la règle et personne n’évoquait le délicat sujet de l’exil. Seul, mon grand-père s’exprimait pudiquement avec des mots simples mais forts. Je suis Espagnol jusqu’à la fin de mes jours, mais c’est la France qui m’a tout donné. A dix ans, je n’en saisissais pas le sens, mais j’écoutais en silence, élevée dans la culture de mes origines.
Ce fut particulièrement difficile pour moi, première née hors des terres d’Espagne, affublée du plus connu des prénoms hispaniques, Carmen.
A ma première rentrée scolaire, je ne parlais pas un mot de français et je comprenais pas ce que la maîtresse attendait de moi. Je voulais fuir, mais impossible de m’échapper de cette institution de la République.
Petit à petit, j’y appris l’histoire de France, ses valeurs, ses combats, ses grands hommes et ses grandes femmes. Je fis également connaissance avec le racisme ordinaire, celui qui se voulait amical, rigolo, pas méchant. Les moqueries de mon prénom ne cessèrent qu’une fois installée dans la vie active. Je finis par me l’approprier pour enfin me sentir fière de mes racines.
Après tout, Louis XIV, n’était-il donc pas espagnol par sa mère? Et Louis XVI, ses enfants… autrichiens par leur mère ?
C’était déjà l’Europe avant l’Union européenne. Alors au lieu de ne voir que les distensions entre les pays, moi j’ai juste envie de ne retenir que l’avenir commun entre les peuples.
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© Photos @annyelleparis
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