« Dans l’esprit de Jean Monnet » suivi de « Une rencontre mémorable »

Pour la toute première fois depuis la création de l’association, il y a plus de dix ans, À Mots croisés a proposé, cet automne, une journée d’écriture à ses écrivants : « Quand écriture rime avec architecture ». Annie Lamiral, intervenante, a choisi de l’organiser à Bazoches-sur-Guyonne, près de Montfort-L’Amaury. Le matin, visite guidée et atelier d’écriture à la Maison Louis Carré, conçue par l’architecte Alvar Aalto. L’après-midi s’est déroulée à la Maison Jean Monnet, l’architecte de l’Europe. La visite guidée – assurée par Véronique Recher que nous remercions ici chaleureusement – a permis de nourrir les récits, de croiser l’Histoire avec la fiction.

Dans un premier temps d’écriture, Annie a proposé de rédiger un portrait littéraire ou fictionnel de cet homme discret, mais déterminé. 

À suivre les récits d’Amina.

🔹Dans l’esprit de Jean Monnet

Que la nature est belle dans ce décor automnal ! Cette promenade matinale panse les plaies de mon esprit après les déconvenues de ces derniers jours. Comment les hommes peuvent-ils être à ce point bornés ? Ils ne prennent de grandes décisions que lorsque la crise est à leur porte. Comme s’ils voulaient revivre les atrocités de la Seconde guerre mondiale ! Comment ne voient-ils pas que nous avons tout intérêt à aller dans le sens de l’unité, sans ménager nos efforts ? Pourquoi nous déchirer encore une fois, alors que nous aspirons tous à la paix et craignons pour nos enfants ?

Mon approche par le cognac et le cigare me semblait être la bonne, mais il va peut-être falloir pour une fois recourir aux grands discours. Les mots au lieu de l’action ! Une concession de plus à faire, et une nuit blanche en perspective ! Heureusement que Monsieur André sera là pour me faire un retour. Son bon sens m’est précieux. D’ici la fin de la semaine, je présenterai mon texte à Schuman, et je ne perds pas espoir de le convaincre. Je leur prouverai à tous que je ne suis pas optimiste, mais déterminé. Et mon idée finira bien par faire son chemin !

***

Le deuxième temps d’écriture permettait de raconter une rencontre improbable / chaotique / heureuse / surprenante entre deux personnages de différents pays d’Europe.

🔹Une rencontre mémorable

« Tu viens d’où ? » « C’est compliqué », m’avait répondu mon compagnon de voyage dans le train qui filait vers Berlin cette nuit-là. « Compliqué comment ? », lui avais-je demandé. Et après un temps d’hésitation, il avait accepté de me livrer une partie de son histoire.

Né d’une rencontre Erasmus en Espagne, il avait vu le jour en Grèce, loin de son père norvégien. Le couple n’avait pas résisté au choc du contraste nord-sud, et il avait grandi aux côtés de sa mère italienne, réfugiée à Athènes pour échapper à l’emprise d’une famille maltraitante.

« À première vue, l’Europe n’a pas de frontières », me dit-il. « Mais pour moi, elle en avait de très concrètes dans mon enfance. À la maison, je parlais un dialecte sicilien. À l’école où j’étais scolarisé, je parlais anglais. Et à mes heures perdues, j’apprenais le grec pour me faire comprendre de nos voisins et sympathiser avec les enfants du quartier. C’est pourquoi je me considère essentiellement comme Européen », avait-il conclu. « Mais j’aimerais tellement que cette Europe soit plus belle et plus humaine qu’un simple bout de papier ! Une Europe qui ne repose pas uniquement sur des considérations mercantiles, où l’on se soucierait du bien-être de chacun ! ». Et comme la nuit était déjà bien avancée, nous en étions restés là.

J’allais à Berlin pour assister à un congrès sur la paix. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je rentrai le lendemain dans la salle de conférence ! Il était là de nouveau, le regard lumineux et la tête haute. Il s’insurgeait contre le sort réservé aux migrants parqués aux portes de la Grèce.

« On m’avait dit que la route de l’Europe menait à la liberté. Mais où est-elle aujourd’hui, cette liberté ? Dans les esprits muselés qui ne peuvent s’épanouir et s’exprimer à leur guise, pris en tenailles entre les injonctions gouvernementales et les impératifs économiques ? Dans les relations humaines, où l’on regarde son voisin avec suspicion, de peur qu’il nous apporte la peste ou nous vole notre emploi ? Dans les réglementations inhumaines, qui mettent en danger la santé et les emplois de pauvres gens ? »

En sueur, il avait conclu son discours sur cette question, qui résonnerait longtemps en moi :

« Ne serait-il pas temps de repenser l’Europe à laquelle nous aspirons tous, à l’abri de la peur qui attise la haine et nourrit la violence ? ». Et j’étais resté subjugué par cet homme animé par tant de foi et d’humanité.

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