« Une mémoire de l’hôpital » suivi de « Croque, croque la vie »

Un atelier d’écriture à l’hôpital, pourquoi pas ! Rendez-vous fut pris au Musée de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, situé à l’Hôpital Bicêtre au Kremlin-Bicêtre avec Aurélie Prévost, responsable de la médiation culturelle et de la communication.

Après la visite guidée de l’exposition  « À pleines dents », l’atelier d’écriture, « Histoires à croquer », imaginé par Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a permis aux participants de placer l’hôpital et son musée au centre de leur récit, puis à explorer l’imaginaire personnel et collectif autour des dents.

Bonne lecture des récits de Muriel 🦷

Une mémoire de l’hôpital

Drôle d’endroit pour un musée. Caché entre les dédales des bâtiments à l’architecture bigarrée sur le terrain de Bicêtre. Un pavillon muséal qui garde en mémoire Mathieu Jaboulay et donne à ce chirurgien ses lettres de noblesse. Lieu enclavé entre des carrés de verdure et des édifices qui conservent les cris de souffrance des enfermés, le silence des écorchés de la vie, des punis de leurs délits, des sans-abri. Des histoires de vie, de maladie, d’espérance, plongées à corps perdu dans la grande histoire de la médecine, de ses folles recherches et de ses éternuements, de la pratique des soins, de l’évolution irréparable de la santé publique. Des instruments pour soigner, des tableaux pour poser une ambiance, des registres pour conserver des actes et tout ce pêle-mêle sagement posé dans des vitrines, sur des rayons, accroché à des murs pour créer un palimpseste de la mémoire.

Croque, croque la vie

« Croque la vie à pleines dents », cette phrase la taraudait depuis son enfance comme une injonction au bonheur, une formule consacrée pour l’autoriser à engranger les petits plaisirs, courir après monts et merveilles et combattre l’adversité de la vie. Malgré ses dents scintillantes, aiguisées, cette fillette ne les avait jamais montrées pour blesser avec des mots ingrats le vagabond désargenté, l’écolier désemparé, la voisine dégingandée à la voix de crécelle. Elle ne savait pourquoi cette formule avait jalonné et traversé sa vie.

Croquer la vie, c’était d’abord chaparder des reinettes dans un verger automnal, rapiner des cerises juteuses au plus haut des branches, sentir dans la main la rondeur du fruit, la tessiture de sa peau rugueuse ou lisse, approcher la pomme, la bigarreau de ses lèvres ourlées, les mordre goulûment de ses dents vives. Et elle grandit, cette enfant. Croquer alors, ce mot délicieux, s’est paré d’autres sens. Elle s’en empara quand elle commença à s’appliquer, la tête penchée, les doigts recroquevillés sur des crayons à tracer des tournesols, des coquelicots sur ses premiers cahiers de dessin et à embellir ses esquisses de fleurs, de paysages, des cours d’eau et brins de lune d’une palette de couleurs. Elle continua à se l’approprier pour brosser des personnages, camper leurs vêtures, décrire leurs visages, leurs caractères, bâtir des histoires.

Au fur et à mesure, elle fit sien ce vieil adage.  « Croquer la vie à pleines dents », pour elle c’était s’élancer avec son vélo rouge sur des routes indociles, dévaler les côtes, cueillir des ancolies pour chasser la mélancolie, regarder passer des nuages, s’enivrer de mirages, entendre l’autre dans son désarroi, attraper les astres du regard, chasser les désastres, s’étendre dans l’herbe, plonger dans un livre sans en interrompre la lecture, aimer l’autre sans l’asservir, gagner en patience et s’enrichir de la diversité.

Illustration : Musée de l’AP-HP / British Museum John Dixon / John Harris / John Bowles, 1768

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