D’après « Les Mots bleus »

Pour ce nouvel atelier hors les murs, À Mots croisés a poussé la porte de la librairie Le Bazar utopique à Bagneux. Nous en avons profité pour échanger avec notre duo de libraires sur leurs choix de lectures et sur leurs « Coups de cœur ».

Annie Lamiral, intervenante À Mots croisés, a ensuite invité le petit groupe d’écrivants à imaginer une histoire, à partir d’un ouvrage coup de cœur de nos libraires, en reprenant son l’incipit, son excipit ainsi que la première phrase de la page 111 https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_de_la_Page_111 

C’est le roman « Les Mots bleus » de Marion Millo que Benjamin a retenu pour imaginer son propre récit

Incipit : « La pomme tient à peine dans ma main, douce, rouge et déjà un peu pourrie sûrement. Ça ne se voit pas tout de suite mais je le sens, là, quelque part où je diffère. Je ne sais pas si je vais croquer dedans, planter mes dents, y fourrer mon appétit de loup. »

Page 111 : « Je commence à la faire courir mon histoire, planquée sous les images. Ça répare un peu la nuit, dans la tendresse d’un vol de phalènes. »

Excipit : « Elle est là devant moi, ma renarde, qui m’ouvre les bras, ils sont grands comme le monde. La lune quitte la scène de la pointe de ses pieds de nacre. Tout peut commencer. »

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La pomme tient à peine dans ma main, douce rouge et déjà un peu pourrie sûrement. Ça ne se voit pas tout de suite mais je le sens, là, quelque part où je diffère. Je ne sais pas si je vais croquer dedans, planter mes dents, y fourrer mon appétit de loup. Je n’hésite pas longtemps. La nourriture, tout comme la tendresse, n’est pas en quantité suffisante pour que je me permette de les dédaigner. Elle a un goût de regret et de culpabilité. Je la dévore et jette le trognon à bonne distance dans le bois en espérant que ce rogaton ne fasse pas d’arbre : il serait tordu, offrirait des fruits à la couleur luxuriante mais au goût rance, comme un distributeur de déception.

La maison arrive bientôt sur moi. Ce chemin je le connais par cœur sans pourtant l’avoir jamais parcouru, c’est toujours cette affreuse maison qui vient à moi. Alors que souhaite aller partout ailleurs, fatalement je me retrouve devant ce jardin mal entretenu sur lequel s’appuie une bicoque de bois vermoulu où l’obscurité rode dans les deux pièces froides comme les mouches tournent autour d’une charogne.

Mon prénom, personne ne le connaît. Et moi je ne le dirai jamais. Déjà parce que je ne parle à personne, ensuite parce que je fais ce que je veux et aussi parce que la personne qui l’a choisi ne m’a pas choisi moi. En partant ma mère a cru bon de me confier à la garde de son père dans cette maison aussi abandonnée que moi. Si le vieux passait autant de temps à chercher à manger qu’à m’emmerder je ne serais pas plus heureux mais au moins obèse. S’il passait la moitié du temps qu’il consacre à me rabaisser à retaper sa bicoque, on vivrait dans un manoir anglais. On va dire qu’il n’est pas bricoleur.

Ça y est, elle est là. Même quand je marche à reculons, elle trouve le moyen de se planter devant moi. Mais pour la première fois en une bonne douzaine d’années il y a quelque chose de différent. La différence est rousse, grande et de dos. Elle parle au vieux qui se tient dans l’encadrement de ce qui avait dû être une porte et qui n’est maintenant qu’une planche mal ajustée qu’on pose devant le trou. En me voyant le vieux à un regard mauvais, du genre qui veut me faire partir. Je m’arrête. À bonne distance. J’ai toujours été silencieux. La prudence et la discrétion sont d’excellentes compagnes. Mais une brindille craque sous mon pied. Je ne sais même plus si je l’ai fait exprès. Elle se retourne et je la vois. Belle. Et rousse comme le cuivre des tuyaux des salles de bains des gens de la ville.

Note au lecteur

Pris par le temps limité de l’atelier, Benjamin continuera, plus tard, son récit pour y inclure la phrase de la page 111 et l’excipit.

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