Francine a retenu cet incipit « Nous nous tenions derrière la porte, toutes tremblantes… » , extrait de HISTOIRE DE ZAHRA d’Hanan El-Cheikh, pour illustrer son récit.
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Histoire d’aiguilles
Était-ce à cause du froid, de la peur ou d’une petite joie mesquine ?
Dans le bureau de la Madame la Directrice, deux de nos camarades subissaient une réprimande liée à ce qui s’était passé dans l’après-midi. Nous nous posions la question de savoir si elles allaient tenir leur langue ou nous dénoncer. Et dans ce couloir en tenue de nuit, pieds nus sur le carrelage, franchement, nous n’avions pas chaud !
Dans la cour de récréation, quelques jours plus tôt, nous avions eu l’idée de nous venger de notre professeur de mathématiques, Mademoiselle MICHOT, elle et ses punitions souvent trop sévères et pas toujours justifiées à nos yeux.
Nous avions donc mis notre vengeance en œuvre. Quand je dis nous, c’est bien sûr l’ensemble de notre chambrée, les 6 filles de la chambre mauve : Michèle, Isabelle, Nadège, Catherine, Odile et moi, Françoise.
Nous avions mis de côté des aiguilles et du fil lors de notre dernier cours de couture, et nous allions mettre en application ce que nous avait si bien enseigné Madame Perrot : des points réguliers et bien serrés pour que cela soit solide !
Cet après-midi, Mademoiselle Michot avait suspendu son manteau en laine bleu marine dans la salle des professeurs comme à son habitude. Odile, cachée dans le couloir était sortie de son poste de surveillance et tel un chat, sans bruit et sans se faire voir, l’avait subtilisé.
Nous l’attendions dans notre chambre, en silence, assises chacune sur notre lit bien fait au carré. Nous avions cousu toutes ensemble, rapidement, pour que personne ne s’aperçoive de l’absence sur le porte-manteau. Michèle et Isabelle étaient en charge de remettre le manteau à sa place le plus discrètement possible.
Une demie heure après, de notre poste d’observation , nous avions vu Mademoiselle Michot voulant mettre son manteau, s’acharnant à vouloir enfiler son bras dans la manche droite, puis l’autre dans la manche gauche, sans y parvenir. Elle s’énerva de plus en plus, puis, comprenant le problème, devint rouge de colère !
De notre cachette, nous n’avions rien perdu de ce spectacle et, de retour dans notre chambre mauve, nous eûmes un grand fou rire. Quelques minutes de liberté et d’insouciance !
A la fin du repas du soir, Michèle et Isabelle furent convoquées dans le bureau de Madame la Directrice, les autres pensionnaires devant aller dans leur chambre pour se coucher. Nous montâmes en lambinant, les oreilles grandes ouvertes pour glaner le plus d’informations possible. Odile, de son côté, avait réussi à entendre que Monsieur Auguste, le concierge qui a toujours l’œil partout, les avait vues sortir de la salle des professeurs et avait fait son rapport à Madame la Directrice.
Nos deux amies étaient, donc, dans le bureau avec Madame la Directrice et Mademoiselle Michot qui ne décoléraient pas.
Nadège, Catherine, Odile et moi étions redescendues à pas de loup. Derrière la porte à la fois tremblantes par le froid et secouées de petits rires, nous écoutions les cris de colère et les menaces de Mademoiselle la Matheuse.
Soudain, la porte s’ouvrit et nous fûmes découvertes !
Madame la Directrice nous fit entrer dans le bureau sans ménagement et nous invita à fournir nos explications sur la mésaventure de Mademoiselle Michot.
Nous n’avions pas eu besoin de dire grand chose. Madame la Directrice connaissait la complicité de la chambrée et nous donna une punition collective. Rendre le manteau de Mademoiselle Michot en bon état et, au vu de notre « amour » pour la couture, faire une nappe et douze serviettes de table brodées pour le Noël de la mère de Mademoiselle Michot.
Depuis ce jour, quand je mets un manteau en lainage bleu marine, j’ai toujours un sourire sur les lèvres et l’image de mes amies en plein fou rire dans notre chambre mauve. Par contre, j’ai rangé mes aiguilles et je n’ai plus jamais refait de broderie !
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Illustration de Karen, Instagram @redfirewoman01
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