« Histoires d’objets : Souvenir à survenir »

Clap de fin pour les « Histoires d’objets » imaginées lors des Journées du Patrimoine 2022. Ce dernier récit, signé Carmen, est riche en émotions et emprunt de nostalgie. Bonne lecture ! 

Souvenir à survenir

Cet après-midi, le soleil a été chassé par une pluie battante. La saison estivale touche à sa fin et tu trouves que l’automne vient un peu trop tôt. Tu aurais préféré que l’été joue les prolongations, histoire de profiter encore un peu de toutes ces magnifiques occasions d’évasion. Mais c’est ainsi et tu dois faire contre mauvaise fortune cœur en te résignant à te voir enfermée entre quatre murs et un toit. Tu soupires d’ennui car rien ne te fait envie. Rien ? En es-tu bien sûre ? Car une inaction forcée est le meilleur moyen de s’atteler à une tâche que l’on repousse sans cesse au lendemain. Plus d’excuses cette fois-ci, tu vas entamer le rangement du grenier. Là où, entassé depuis des lustres, est stocké un bric-à-brac d’objets accumulés par plusieurs générations. Tu ne sais même plus ce qui se cache en haut. En vérité, tu n’en as cure, tu veux juste faire un tri pour faire de la place. Tu montes l’escalier aux marches grinçantes. Pourquoi faut-il que les escaliers grincent à chaque fois ?

Puis, tu entres enfin dans le repère secret de la mémoire. Chacun y a déposé ses souvenirs, propres à garder, ou parfois à oublier. L’épaisse couche de poussière grise te fait éternuer. L’effraie endormie s’envole en protestant dans un long ululement de colère. Tu viens de déranger la gardienne du temple et elle le fait savoir de manière bruyante.

A force de laisser tes doigts traîner sur tout et n’importe quoi, ils sont tout noirs de vieille crasse. Mais ce n’est pas n’importe quoi !! En une seconde, tu viens de faire un bond de presque quarante ans en arrière. Ton cœur est envahi par un tsunami d’émotions enfouies, tes jambes tremblent, tes mains hésitent.  Tu viens d’exhumer de son linceul d’oubli, le magnétophone enregistreur dont tu as été fière, autrefois.

Tu as oublié son existence jusqu’à ce moment où il réapparaît dans ta vie d’adulte. Tu as quinze ans, cette année-là et, pour ton anniversaire, ton père a décidé de t’offrir le cadeau de tes rêves. Un magnétophone à cassettes pour conserver toutes ces musiques qui font fureur chez les jeunes. Un véritable luxe mais il a voulu te faire plaisir. Rien n’est trop beau pour sa princesse. Tu te revois enclencher les deux touches magiques pour lancer la bande et exiger un silence absolu dans le salon pour ne capter d’autres sons autres que ceux désirés. D’émotion, tu pleures dans le silence de ce grenier où la mémoire endormie se réveille d’un profond et long sommeil. Pourtant tu n’es pas triste, juste nostalgique de ces heures heureuses. Avec un sourire aux lèvres, tu te plonges dans cette époque où ta plus grande préoccupation est de savoir si ta mère, réfractaire aux musiques nouvelles, va bien de te laisser écouter le hit-parade du dimanche soir. Tu n’as pas conscience de vivre le temps de l’innocence insouciance. Mais que c’est loin tout cela désormais. Délicatement, tu l’ouvres. L’appareil est ancien et sûrement très fragile maintenant. Tu n’as pas envie de l’abîmer avec des gestes mal maîtrisés et brusques. Une cassette est restée à l’intérieur. Trésor plus précieux que le saint Graal. Ainsi, il reste donc de la musique sur cette bande. Ta musique. Celle qui t’avait fait vibrer. Celle qui t’avait fait danser. Celle qui t’avait emportée vers ton premier baiser.