Dernier récit de l’atelier dédié aux nuits blanches. L’histoire imaginée par Nathalie est forte, efficace, émouvante. Bonne lecture !
Les ombres de la jungle
Hichem,
Je te fais parvenir cette lettre pour t’informer que je suis arrivé à Calais, cette nuit. Ce lieu qu’on nomme la jungle. Mais tu connais car avant d’arriver à Londres, tu es passé par ce périple.
On m’a désigné une tente. J’ai marché lentement par cette nuit noire sans lune. Que d’immondices ! Un homme avec une lampe frontale que je ne connais pas m’a aidé à me diriger. Il est Afghan comme nous. Dans la lueur de sa lampe, j’ai vu passer des ombres que j’ai pris pour des chats. Mais pas de miaulements, ce sont des dizaines de rats. Me voilà donc arrivé à destination pour cette nuit.
Mon acolyte qui s’appelle Abdel m’a souhaité la bienvenue avant de me quitter pour essayer de passer en Angleterre via le Shuttle. Il cherche un camion pour s’y dissimuler. Tu sais, j’espère qu’il aura sa chance.
Je suis éreinté et je m’allonge sur le matelas de fortune. Mes pieds sont en sang. Mes tempes résonnent tels les Dukkars, tu te souviens ces tambours, lors des fêtes traditionnelles avant que les Talibans prennent le pouvoir. Tout mon corps n’est que souffrance et il faut que je retrouve des forces pour finir la traversée. Je ne pense qu’à cela. Mon esprit a passé la nuit à s’évader vers des lieux bien distincts. Je suis sans force et bizarrement je n’ai pas trouvé le sommeil, qui je sais salvateur pour la poursuite de mon exil. Une grande partie de la nuit, j’ai entendu des grattements autour de la tente. Des hommes qui sortent ? Non, ce sont ces maudits rats. Tu sais, l’odeur est âcre, sous cette tente où nous sommes quatre. Je ne connais pas mes compagnons d’infortunes. Est-ce des Afghans comme nous ? Ils dorment à poings fermés. Les rats se sont calmés et le silence est maintenant plus pesant.
Je pense à toi et je nous revois courir enfant dans les ruelles de Kaboul où l’odeur des épices remplace celle de la transpiration de la tente. J’imagine nos retrouvailles dès que j’aurais traversé cette maudite Manche. Je sais que ce sera difficile, cela remplit mes pensées. Je ne veux pas moisir, ici, pendant des semaines, voire des mois comme certains.
La nuit s’estompe et la lueur du soleil apparaît. Le froid avec la rosée matinale me sort de ma torpeur de cette nuit sans lune et sans sommeil. J’ai une faim qui me taraude. Cela fait vingt-quatre heures que je n’ai pas mangé et l’odeur des Halwas me revient en mémoire. Je te revois lorsque tu les dissimulais dans tes poches et que la semoule et l’amande fondaient dans nos bouches en cachette. L’agitation du camp se fait de plus en plus grande. Mes voisins se réveillent lentement et me scrutent sans s’attarder. Cela fait bien longtemps qu’ils sont habitués à voir défiler des hommes jeunes, de différentes nationalités. Je viens de voir Abdel revenir, il n’a pas pu passer en Angleterre. Il réessayera la nuit prochaine.
Mon frère, je te laisse en te disant à très vite. Dès ce soir, j’essaie de faire la traversée.
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