Poursuivons notre série de récits « On a sonné à la porte » avec celui d’Alexandre ! Bonne lecture !
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On nous appelle les disparus volontaires ; certains nous cataloguent comme fous tandis que d’autres feignent de comprendre notre désarroi ; je n’en étais pas arrivé à ce stade mais je m’y dirigeais, plus décidé que jamais.
Je me répétais pour la centième fois la liste des affaires qu’il m’était interdit d’oublier : passeport, permis de conduire, carte vitale et carte bancaire car après il serait trop tard.
A J-3 heures de quitter la maison où j’avais vu grandir mes enfants de 4 et 13 ans, je me sentais différent ; un peu comme si j’étais habitué à m’habiller en chemise et en pantalon et que désormais il me fallait vivre en jogging, baskets ! Le rêve quotidien de mes enfants, j’avais beau essayer de ne pas trop paraître vieux con, mais là c’était au-dessus de mes forces.
Enfin après m’être assis sur le canapé, je posais une dernière fois mon regard sur ce que fut ma vie, une succession d’événements heureux et malheureux qui m’avaient aidé à passer les étapes du premier appart, de la première maison, du premier enfant et sans parler de la première voiture entre temps.
Toute ma collection de CD et DVD, tous mes bouquins que je n’avais pas encore lus, cinq ans après les avoir achetés, ma machine à café et mes jouets d’enfants que je gardais précieusement pour les ressortir lorsque je serai papa à mon tour. Je devais me résigner à ne rien emmener et faire table rase de tout pour débuter ma nouvelle vie !
La seule chose que je ne pourrai abandonner et à laquelle je tiens, c’est la photo de ma maman et sa boîte à bijoux que j’ai tant triturée étant gamin et qui m’a valu quelques clics sur la main.
Un enfant terrible à ce qu’il paraît, mais je n’en ai aucun souvenir.
Me voilà donc à 40 ans et la fameuse crise de la quarantaine ; on revoit sa vie, ses amours, ses rêves ; mais où sont passés mes rêves de Canada, de cinéma, de spectacles jusqu’au célèbre canapé rouge de Michel Drucker ?! lorsque vous faites le bilan, cela ressemble à une mort dans l’œuf ; j’espérais vivre encore autant d’années et réaliser mes rêves, ma dernière chance avant que tout cela ne soit mort et enterré.
Une envie pressante due au trac probablement me sortit de mes ritournelles habituelles ; à peine rentré dans les toilettes (car c’est toujours à ce moment que ça arrive), on sonna à la porte ; ce n’est rien, je me détends quand même lorsqu’on sonna pour la deuxième fois ; ce n’est pas grave vu là où j’en suis, j’ai le temps ; j’attends un peu quand-même mais j’écoute, plus rien, c’est que ce n’était pas important ; je sors lorsqu’une troisième sonnerie me fait sursauter ; je ne sais pas qui c’est, mais le gars il est gonflé tout de même.
En me précipitant vers la porte, j’ouvris. Ma respiration eut un temps d’arrêt. Un halo se dégageait de la personne qui se tenait face à moi et n’arrêtait pas de me sourire. Une hallucination probablement, je refermai aussitôt. Peut-être un reste de sommeil ou du litre de bière que j’ai descendu à midi ? Pire, une maladie mentale.
Je me frottais frénétiquement les yeux et ouvris la porte d’un coup sec ; nous nous regardâmes pendant plusieurs secondes ce qui me parurent des minutes. Sorti de mes émotions, je finis par lui demander la raison de sa présence et elle me répondit d’un naturel tout trouvé :
– « Je m’appelle Eloïse, c’est votre mère qui m’envoie. »
Je ne pus m’empêcher de rire bêtement ; était-ce bouddha, Krishna, mormon ou témoin de Jéhovah ?
– « Bon allez-y, j’ai exactement 10 minutes à vous consacrer et pas une de plus. »
– « Vous vous apprêtez à faire une chose que vous regretterez amèrement par la suite » me répondit-elle.
Bon là je me dis, ça commence à être sérieux. Une chose étrange pourtant se produisit ; tandis qu’elle m’expliquait la raison de sa venue en agitant ses bras dans tous les sens, une force bien étrange que je ne saurais décrire me poussa au fur et à mesure qu’elle avançait.
Enfin, pour me convaincre au bout de cinq minutes, elle sortit de sa besace ce qui à l’évidence s’apparentait très clairement au collier de ma mère en bois avec des perles nacrées que je lui avais fabriqué pour sa fête.
La situation à mon sens commençait à se corser et Eloïse continuait à me regarder en souriant alors que la pluie commençait à tomber.
Je la fis asseoir sur le canapé, elle paraissait émerveillée.
– « Chez nous, me dit-elle, il y a beaucoup moins de bibelots, de cuisines, de chambres enfin…ça n’existe pas ; de tout de façon, on n’aurait pas le temps d’en profiter, mon patron m’envoie toujours en mission quelque part pour que j’évite le pire à quelqu’un, un peu comme vous d’ailleurs. »
– « Non, mais dites donc, c’est vous qui venez me faire suer, je ne vous ai rien demandé d’ailleurs ! Et si c’est ma mère qui vous envoie, pourquoi n’est-elle pas venue elle-même ? »
A ce qui paraît dans son travail, c’est une des premiers choses qu’on apprenait à l’école : ne jamais communiquer directement avec la famille à cause d’une trop grande décharge d’émotion qui pourrait nous faire passer de vie à trépas !
Pour me persuader de ne pas passer à l’acte, elle finit par me dire que ma mère était près de moi, de ma famille dès qu’elle en avait l’occasion et puis encore que tout ce que j’avais réussis à faire, la rendait fière, rien que ça !
Ça me paraissait d’un banal tout de même, jusqu’à ce que la jeune Eloïse m’empoigna par le bras.
Je fus transporté en un éclair devant ma maison ; de là, un jeune adolescent de 16 ans à vue d’œil claqua avec rage le portail sur les hurlements de sa mère ; je reconnus la voix stridente de ma femme sans en être bien sûr.
Pour une raison que j’ignore, je fus transporté une nouvelle fois au milieu d’un groupe d’ado et de jeune adultes en train d’échanger un paquet brièvement. A cet instant des policiers surgirent de nulle part et plaquèrent au sol le jeune ado que j’avais croisé devant chez moi. Tout s’éclaira pour moi lorsqu’un des policiers précisa comme ils disent l’identité de l’individu interpellé : il s’agissait de Léandre PERROT, mon plus jeune fils.
Sous le choc, une douleur à la poitrine me mit à genoux alors qu’Eloïse imperturbable se tenait toujours à mes côtés.
La seconde d’après, nous étions revenus sur le canapé ; Eloïse se confondit en excuse mais n’avait pas trouvé d’autre moyen pour me faire prendre conscience que mon départ allait avoir de graves conséquences sur mes enfants.
Non, mais là c’en est trop, ça suffit, j’avais suffisamment mûri mon projet pour qu’une espèce d’oracle venu d’ailleurs chamboule ma vie ; moi aussi j’avais le droit de vouloir réaliser mes rêves.
Pris de colère et de rancœur envers mon passé, j’enjambai les escaliers deux par deux bien décidé à ce que personne ne me barre la route de mes rêves une deuxième fois ! J’empoignais ma valise au bout de mon bras et au moment de faire face à l’escalier me prit les pieds dans le tapis pour finir la tête la première quelques mètres plus bas.
Je me relevais assis et suffocant, seul dans mon lit, la place de ma femme encore chaude et l’odeur du café avec un mal de crâne épouvantable. Etait-ce un rêve ? Mon avion pour le Canada, ma valise, Eloïse ?
Comme si rien ne s’était produit, je descendais les escaliers et fus surpris d’entendre la voix de ma femme ainsi que celle de mes enfants que je n’avais pas entendus depuis plusieurs jours. N’étaient-ils pas censés être dans un village vacances ?
Le temps passé et les rêves aussi, j’avais oublié combien le sourire de ma femme joyeux et magnifique, m’avait séduit et fait ce que je suis ; mes enfants eux qui se chamaillaient sans arrêt, je les aimais tellement ; je me sentais à ma place, enfin.
Sans qu’aucun d’eux n’en sache la raison, je les serrai comme jamais je ne l’avais fait auparavant dans mes souvenirs et je dois dire que ça fait un bien fou.
En serrant mon petit dernier, j’aperçus dans le coin du meuble un objet qui se reflétait au rayon du soleil ; accroupi, je le ramassais délicatement et découvris non sans émotion le collier de ma maman que je pensais ne jamais revoir : il était en bois avec des perles nacrées.
FIN
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